Alerte face à une recrudescence de la justice populaire
La méfiance envers le système judiciaire entraîne un regain de justice populaire et de lynchages.
Alerte face à une recrudescence de la justice populaire
La méfiance envers le système judiciaire entraîne un regain de justice populaire et de lynchages.
Patrick Yav, un avocat du Centre pour les droits de l’Homme, une organisation non gouvernementale basée en RDC, fait état d’un nombre croissant d’incidents dans tout le pays au cours desquels des membres du public rendent une justice sommaire à l’encontre de criminels pris en flagrant délit, plutôt que de compter sur les tribunaux.
“Les criminels présumés sont souvent battus, brûlés ou tués avec des machettes,” explique-t-il. “Ils subissent des traitements cruels, inhumains et dégradants. Parfois des innocents sont tués par la foule en colère, parce que les preuves sont fausses.”
Une telle justice populaire est le reflet de l’état désastreux du système judiciaire qui manque de plus en plus de moyens.
Le 3 juin dernier, le président congolais Joseph Kabila avait diffusé une déclaration à la télévision nationale, appelant à éradiquer la corruption au sein du système judiciaire et à rétablir la confiance publique envers le système.
Avec un salaire moyen de moins de 200 dollars US par mois, les juges ont souvent recours à la corruption pour compléter leurs maigres revenus, rendant souvent des verdicts en faveur du plus offrant, selon Harriet Solloway, chef de l’unité État de droit à la Mission des Nations Unies en RDC.
Les conditions pénitentiaires en RDC ont aussi été récemment prises sous le feu des critiques, la sécurité relâchée étant montrée du doigt comme cause des évasions régulières et les violations des droits de l’Homme commises contre les détenus.
Le Conseil supérieur de la magistrature a été mis en place en 2006 pour garantir l’indépendance des juges en prenant des mesures disciplinaires lorsque nécessaire, mais, à défaut de financement approprié, il n’a jusqu’à présent pas été à la hauteur des attentes.
En 2004, alors que les Tribunaux étaient paralysés par le manque de moyens et la corruption, le gouvernement de la RDC avait fait appel à la Cour pénale internationale, CPI, pour enquêter sur les crimes de guerre allégués.
Yav explique que la justice populaire est une tendance inquiétante qui pourrait continuer à saper le système judiciaire en décrépitude du pays.
“Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit étendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial,” a déclaré Yav. “Il faut se rappeler que toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie juridiquement au moyen d’un procès public, où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.”
Au début du mois de juillet, dans la ville de Katuba, à quelques sept kilomètres de Lubumbashi, un voleur avait été surpris alors qu’il essayait d’entrer dans une maison tôt dans la matinée. Le propriétaire de la maison avait appelé à l’aide, effrayant le voleur et provoquant une fouille de la zone.
“Tout le voisinage a été fouillé,” raconte le propriétaire. “Nous avons trouvé deux des cinq voleurs et les avons attaqués. Vers 6 heures du matin, la police est venue ramasser les cadavres des criminels.“
Cet évènement souligne une perte de confiance généralisée envers le système de justice pénale. “Notre justice est la meilleure parce que nous savons que lorsque les portes des prisons sont ouvertes, on oublie de les fermer,” explique-t-il. “Quand les inciviques y entrent le matin et en sortent paisiblement le soir même, ils ont ainsi la possibilité d’accomplir tranquillement leurs forfaits.”
“C’est un cas de légitime défense,” explique Georgette Misenga, une autre habitante. “Souvent, les voleurs viennent avec des armes à feu et parfois ils tuent les gens qu’ils trouvent dans la maison. Quand vous ne vous sentez pas en sécurité, vous devez vous défendre.”
Un autre incident avait eu lieu à Kenya, une banlieue de Lubumbashi en juillet. Les habitants du quartier racontent qu’à une heure du matin, un homme avait été surpris en train d’essayer de pénétrer dans une maison. Il avait été traîné dans la rue et brûlé vif, mourrant dans d’atroces souffrances.
Un des habitants explique que la police n’était pas arrivée à temps pour s’interposer à l’exécution populaire. “Notre police arrive toujours trop tard,” dit-il. “C’est pourquoi la population prend elle-même le problème en charge.”
De son côté, la police réagit rapidement pour se défendre des accusations d’inefficacité.
Le Colonel Jacques Ilunga, inspecteur de la police provinciale, se plaint que les tribunaux sont souvent trop rapides à accorder une liberté provisoire sous caution à des suspects criminels.
“Nous faisons tout pour arrêter les criminels,” explique-t-il. “Mais quelques jours à peine après qu’un homme ait été transféré au parquet, il est relâché. Il revient pour vous dire bonjour, savoir comment vous allez, et s’il peut récupérer sa ceinture qui était restée chez vous. Tous ces criminels là que nous arrêtons doivent se retrouver en prison. Et s’ils sont relâchés, c’est pour qu’ils reviennent à la besogne.”
L’inspecteur explique que la justice populaire n’est pas différente de tout autre crime.
“Dans de tels cas, la police continue à faire son travail,” explique-t-il. “Cela signifie arrêter les auteurs de la justice populaire avec le voleur.”
Dieudonné Kanyama, le Procureur du Tribunal de grande instance de Lubumbashi, a des mots très durs envers les auteurs de la justice populaire, indiquant que “Nul n’a le droit de se rendre justice” et que, s’ils font cela, ils encourent la peine capitale, car ils auront donné la mort à des personnes humaines.
Héritier Maila est un reporter formé par l’IWPR à Lubumbashi.