Aucune leçon tirée des émeutes à la prison de Goma
Certains craignent que les conditions de détention épouvantables au sein des prisons de RDC pourraient conduire à une répétition des émeutes qui avaient entraîné le viol de plusieurs détenues.
The international aid agency Medecins Sans Frontieres has worked to improve the health of inmates at the dilapidated and overcrowded Bunia prison in eastern DRC. (Photo: Claude Mahoudeau/MSF) Plus d’un an après une tentative d’évasion au cours de laquelle un certain nombre de femmes détenues avaient été violées, peu de choses ont été faites pour changer les conditions de vie lugubres à la célèbre prison de Munzenze ,à Goma.
A l’époque, la mission des Nations Unies dans le pays alors appelée MONUC et rebaptisée depuis MONUSCO avait appelé le gouvernement à améliorer les conditions de détention afin de prévenir une répétition de la violence. Cet appel avait reçu l’écho d’organisations internationales, y compris de Human Rights Watch et de la présidence de l’Union européenne.
Mais la situation désastreuse, assortie d’une surpopulation importante et d’un manque de séparation appropriée entre les détenus femmes et les détenus hommes, ne semble pas avoir changé, ce qui fait craindre que la violence de 2009 puisse se reproduire.
Christine Musaidizi, directrice de l’ONG La voix des enfants, a récemment visité l’aile de la prison de Goma dédiée aux femmes, où, le 21 juin 2009, 20 détenues femmes avaient été violées lors d’une tentative d’évasion par des détenus hommes purgeant une longue peine pour des crimes graves.
“Pendant que j’étais là-bas, un des prisonniers de la section des hommes est entré,” a-t-elle dit. “C’était un homme très trapu. J’avais très peur. S’il avait essayé de s’en prendre à moi, je n’aurais eu aucun moyen de me défendre.”
Musaidizi a noté que le mur séparant l’unité des femmes de celle des hommes à la prison n’est toujours pas pourvu de barbelés sur le dessus.
Munzenze a été construite en 1953 pour accueillir 150 prisonniers. Cependant, aujourd’hui, quelques 960 personnes, y compris de nombreux déserteurs de l’armée, sont détenues dans ses murs.
Les prisonniers doivent dormir à tour de rôle en raison du manque d’espace, et la nourriture est apportée à intervalles irréguliers et en petite quantité. Le gouvernement de la province fournit sporadiquement des haricots, du riz et parfois du poisson salé, bien que jamais en quantité suffisante, la plupart des prisonniers ne mangent donc qu’un repas par jour, souvent tard dans la nuit.
Des coupures d’eau régulières aggravent la situation, ce qui signifie que les prisonniers ne peuvent ni boire ni se laver. La dysenterie est un autre problème.
“Il y a des cas d’infection et les gens souffrent beaucoup,” a déclaré John Masenge Katamba, un prisonnier. “Les gens vont mourir dans cette prison.”
Ailleurs dans la région, la situation est même pire. A Sake, une ville proche de Goma, les détenus doivent partager leurs cellules avec des chèvres et dormir sur le sol, dans des flaques d’urine. Aucune organisation n’apporte de l’aide et les détenus ne peuvent compter que sur la bonne volonté de leurs proches pour pouvoir boire et manger.
“Ces conditions de vie violent les droits fondamentaux et la dignité des détenus,” a déclaré un avocat de Goma, qui a requis l’anonymat. “Les gens au pouvoir devrait le prendre en compte.”
Les autorités reconnaissent que les conditions dans les prisons doivent être améliorées, mais indiquent qu’un manque de moyens rend les choses difficiles.
“Les conditions de vie dans les prisons sont toujours une préoccupation pour nous,” a déclaré Tuhihimbaze Rutchomboza, le ministre de la justice de la province. “Nous étudions comment améliorer la situation des prisonniers [dans toute] la province. Mais nous n’avons pas été en mesure de faire quoi que ce soit en raison d’un manque de moyens. La province ne peut pas, à elle seule, couvrir toutes ces dépenses. Nous attendons du soutien de la part du gouvernement central.”
Les ONG internationales essayent aussi d’aider. Le Comité international de la croix rouge, CICR, apporte par exemple un peu de nourriture aux prisons de la RDC, alors que l’Association des femmes médecins apporte une assistance médicale et aide à maintenir l’hygiène dans les prisons.
Un autre problème qui doit encore être résolu est le long délai de traitement des dossiers des prisonniers par la justice. Cela a été considéré comme une raison supplémentaire pour les violences de 2009.
“J’ai été arrêté le 16 mai pour tentative de viol,” a déclaré Isumbiya Eli, l’un des prisonniers à Munzenze. “J’ai déjà passé six mois ici et j’attends toujours de voir le juge.”
Rutchomboza reconnaît que, dans de nombreux cas, la justice met trop de temps à s’appliquer.
“La lenteur du traitement des dossiers des détenus est due au nombre insuffisant de magistrats dans la région,” a-t-il expliqué. “Certains dossiers ont aussi été détruits lors de l’éruption volcanique [en 2003].”
Il a déclaré qu’il avait prévu une visite dans les prisons de la région afin d’étudier de quelle manière certains des détenus pourraient être libérés et pour discuter des moyens de trouver une solution en ce qui concerne les dossiers manquants.
Il y a eu quelques tentatives visant à améliorer la sécurité et les conditions de vie dans les prisons depuis les émeutes de 2009, mais qui n’ont eu que des effets limités.
Peu après la tentative d’évasion, le gouvernement provincial avait décidé de construire une prison dédiée aux femmes, juste à côté de la prison existante de Goma. Mais la construction a été entravée par des accusations de détournement de fonds et personne n’a l’air de savoir quand le nouveau bâtiment sera terminé.
Le 19 août dernier, la MONUSCO a mis en place une unité spéciale chargée de surveiller les conditions de vie dans les prisons du pays et de soutenir l’administration nationale des prisons.
“Les prisonniers rencontrent de nombreuses difficultés en RDC en raison des conditions de vie dans les prisons qui continuent à se dégrader,” a déclaré Youssoupha Ndiaye, qui dirige cette nouvelle unité. “C’est pourquoi nous avons décidé de mettre cette nouvelle unité en place, destinée à améliorer les conditions de vie des détenus.”
Le 16 septembre dernier, la MONUSCO a déclaré qu’elle avait affecté 13 000 dollars US à la construction d’un nouveau centre de détention à Bunia, dans le district de l’Ituri, qui pourrait héberger jusqu’à 50 détenues femmes.
Ailleurs, à Tshikapa dans la province du Kasaï occidental, une nouvelle initiative a démarré pour réexaminer régulièrement les dossiers des détenus, et voir s’ils doivent être maintenus en détention. En résultat, le nombre de prisonniers est retombé de 500 à 150.
Dans la province de Bandundu, également située dans l’ouest du pays, le gouverneur a récemment décidé de construire une nouvelle prison, ce qui a réduit le surpeuplement et conduit à une amélioration radicale des conditions de vie.
Les gens au Nord Kivu se demandent maintenant quand les choses vont s’arranger dans leur province, et si les changements interviendront avant qu’il n’y ait une répétition de la violence de 2009.
“Les conditions pénitentiaires sont vraiment déplorables,” a déclaré Zihalirwa Rubanda, un défenseur des droits de l’Homme. “Si le gouvernement ne fait pas quelque chose bientôt, nous serons une nouvelle fois confrontés à une explosion de la violence.”
Lucie Bindu est une stagiaire de l’IWPR à Goma. Passy Mubhama, également stagiaire de l’IWPR à Goma, a contribué à cet article.