Deux enfants soldats racontent leurs premiers meurtres
Par Wairagala Wakabi à La Haye, Pays-Bas (AR No. 204, 6-Mar-09)
Deux enfants soldats racontent leurs premiers meurtres
Par Wairagala Wakabi à La Haye, Pays-Bas (AR No. 204, 6-Mar-09)
S’exprimant en swahili, les deux témoins ont déclaré que la peur d’être tué par leurs commandants les avait dissuadés de fuir les terribles conditions qui régnaient lors de leur entraînement et sur le champ de bataille.
Un des témoins, une jeune-fille restée anonyme, à déclaré à la cour qu’elle avait été enlevée par la milice de Thomas Lubanga, les Forces patriotiques pour la libération du Congo, à l’âge de 13 ans, et qu’elle avait été entraînée pendant à peine un mois avant d’être envoyée se battre.
Le premier combat de la jeune-fille avait eut lieu dans la ville de Lipi, comme elle l’a indiqué, et leurs opposants ethniques lendus étaient armés uniquement d’arcs et de flèches. Le témoin s’est rappelé avoir tiré sur un homme avec sa mitraillette.
“Savez-vous ce qui est advenu de la personne que vous avez touchée?” a demandé le procureur adjoint Fatou Bensouda.
“Quand je lui ai tiré dessus, je l’ai vu tomber. Je tremblais de la tête aux pieds, et j’avais très froid,” a indiqué le témoin.
“Pouvez-vous nous dire pourquoi vous trembliez?” a demandé le procureur.
“Parce que c’était la première fois que je tuais quelqu’un.”
Interrogé quant à savoir si le meurtre lui avait fait cesser les tirs, elle a répondu, “j’ai continué à tirer, mais je ne sais pas si mes balles ont touché des gens.”
Elle a indiqué qu’elle n ‘était pas consciente de ce que les autres enfants soldats faisaient avec leurs armes à l’époque.
“Pendant la guerre, tout le monde est préoccupé par rapport à sa (propre) sécurité,” a-t-elle expliqué. “Je ne pouvais pas regarder à gauche et à droite. Si j’avais fait ça, j’aurais pu être touchée par une balle.”
La jeune-fille soldat avait par la suite été touchée à la jambe au cours d’une bataille et avait reçu un traitement rudimentaire avant d’être renvoyée au combat. D’autres combats eurent lieu contre les troupes ougandaises et celles qu’elle a décrites comme les “Forces françaises.”
Auparavant, un témoin appelé Patrick par la Cour, avait expliqué à l’avocat de la défense Marc Desalliers comment il se sentait la première fois qu’il avait tué.
“Tuer quelqu’un n’est pas une bonne chose,” a déclaré Patrick. “Lorsque j’ai tiré et que j’ai réalisé que j’avais touché quelqu’un, et qu’il est tombé, ma tête s’est mise à tourner. Ensuite, je suis revenu à moi. Puis je me suis dit, si je m’enfuis, je vais être en danger, alors j’ai du continuer. Mais ça m’a troublé; mon esprit ne fonctionnait pas très bien.”
Une fois engagé dans la bataille, il était difficile d’arrêter de tirer, a-t-il dit. “Si vous ne tiriez pas sur l’ennemi, l’ennemi vous tirait dessus et vous mourriez, et c’est ce qui vous donnait la force de continuer,” a déclaré Patrick.
Patrick a indiqué qu’il était hanté par les souvenirs de la guerre.
“J’ai des mauvais souvenirs … et cela a provoqué un grand retard dans le développement de ma vie. Je suis en retard dans mon éducation. Mon âge ne correspond pas à la (classe) dans laquelle je suis à l’école en ce moment. J’ai aussi l’impression que mon esprit ne fonctionne pas comme il devrait.”
Patrick a déclaré qu’il avait été emmené dans la milice de Lubanga en 2002, mais qu’il avait déserté en juillet 2003 après avoir pris part à quatre batailles.
Bien que les filles dans les camps militaires aient également reçu une formation militaire, Patrick a expliqué qu’il ne les avait pas vues participer aux batailles. Elles faisaient la cuisine et couchaient avec les commandants, a-t-il dit.
L’autre témoin non identifié a également indiqué qu’au camp d’entraînement militaire de Rwampara, “nos commandants prenaient des (recrues) femmes pour coucher avec elles.”
Le témoin a aussi dit que les personnes présentes sur le champ de bataille et utilisées au combat avaient moins de 13 ans. “Certaines recrues étaient plus jeunes que moi, certaines plus âgées, et d’autres avaient mon âge,” a expliqué le témoin.
Les deux témoins ont expliqué qu’ils n’avaient pas eu d’autre choix que de se battre pour la milice une fois qu’ils avaient reçu l’ordre de le faire.
“Si quelqu’un refusait de suivre les ordres, il était tué,” a indiqué l’ancienne fille soldat non identifiée. Dans certains cas, a-t-elle dit, ceux qui désobéissaient étaient flagellés.
L’Accusation a subi un revers quand le procureur Nicole Samson a annoncé que deux de ses témoins n’allaient pas témoigner en raison de problèmes de sécurité.
L’Accusation a également dit qu’elle avait renoncé à deux autres témoins, parce que les témoins précédents avaient abordé les thèmes sur lesquels ils étaient censés témoigner.
Alors que les témoignages se sont focalisés sur les expériences des enfants soldats, les témoins ont déclaré que la milice était dirigée par Thomas Lubanga et que ses principaux commandants étaient Bosco Ntaganda et Floribert Kisembo.
Les deux témoins ont expliqué que Ntaganda avait fourni des armes à la milice, organisé le transport vers les zones de combat, et qu’il avait donné des ordres à des commandants de rang inférieur.
L’année dernière, la Cour pénale internationale avait émis un mandat d’arrêt contre Ntaganda, qui est actuellement en liberté en RDC.
Wairagala Wakabi est un journaliste ougandais qui suit le procès de Thomas Lubanga pour IWPR-Netherlands.