Effort de réconciliation au Congo

Discussions autour du rétablissement d’une commission de vérité pour traiter de l’héritage de la guerre civile.

Effort de réconciliation au Congo

Discussions autour du rétablissement d’une commission de vérité pour traiter de l’héritage de la guerre civile.

Le dernier dimanche de chaque mois, les auteurs du génocide rwandais de 1994 peuvent être vus dans les champs et les collines entourant la ville de Butare au sud du pays, travaillant ensemble pour réparer les routes et construire des maisons.



Les participants à ces projets sont connus sous le nom de “tigistes", d’après l’acronyme français de TIG pour travaux d’intérêt général ou travail communautaire, et ils portent des houes, bêches et pioches pour reconstruire leur pays, ravagé il y a quinze ans par un génocide qui tua près d’un million de personnes.



Le voisin du Rwanda, la République démocratique du Congo, RDC, cherche aussi des moyens de traiter des suites d’une guerre qui a causé la mort de plus de cinq millions de personnes sur place depuis 1998.



La mise en place d’une commission de vérité et réconciliation, CVR, est une possibilité mais une tentative préalable en 2004 avait été marquée par des difficultés politiques et financières. En résultat, la commission n’avait pas tenu une seule audience et avait été complètement abandonnée après les premières élections démocratiques tenues en RDC en 2006.



Mais récemment, des voix se sont élevées pour réclamer une nouvelle commission, même du côté du Procureur de la Cour pénale internationale, CPI, où le chef de milice congolais Thomas Lubanga est actuellement en procès pour la conscription et l’utilisation d’enfants soldats dans les conflits interethniques sanglants de la région de l’Ituri.



Lors d’une visite en Ituri en juillet, le Procureur de la CPI Luis Moreno Ocampo avait indiqué aux habitants qu’une CVR pouvait aider à aborder les atrocités commises avant 2002, qui ne relèvent donc pas de la compétence de la Cour.



“Nous avons discuté avec certains groupes de la possibilité d’utiliser d’autres méthodes pour montrer les crimes qui ont été [commis] ici, et non pas seulement les procès [de la CPI],” a déclaré Ocampo à l’IWPR.



Il faut encore étudier la question de savoir si une nouvelle commission pourrait surmonter les obstacles de la commission précédente, qui devait enquêter sur les crimes commis entre l’indépendance en 1960 et les accords de paix qui mirent fin à la guerre civile de RDC en 2002, tout en encourageant le récit de la vérité et la réconciliation chez les auteurs et les victimes de crimes.



Il existait des problèmes majeurs dès le commencement de la CVR, explique Mirna Adjami, Chef de mission au Centre international pour la justice transitionnelle à Kinshasa.



“La législation ne définissait pas vraiment toutes les questions qui devaient faire partie du mandat de la commission de vérité,” affirme Adjami. “Comment va-t-elle mener ses audiences? Comment va-t-elle définir les victimes? La structure entière n’a jamais été complètement étoffée.”



Le vrai problème, cependant, était que la CVR était surtout composée de ces mêmes factions accusées d’avoir commis les pires crimes, explique Thomas D’Aquin Moustapha Muiti, qui coordonnait le travail de la commission dans la province du Nord Kivu.



“Toutes les factions furent pointées du doigt pour avoir commis des crimes,” dit-il. “Vous comprenez bien qu’elles ne pouvaient pas participer aux procédures.”



Il en fut de même, explique-t-il, pour le gouvernement de transition, qui incluait aussi des membres de divers groupes rebelles.



“La plupart d’entre eux étaient impliqués dans les conflits qui eurent lieu dans le pays,” continue Muiti. “C’est pourquoi ils ont empêché la commission de mener des enquêtes.”



Le financement était aussi problématique. Alors que le programme de développement des Nations Unies, PNUD, a contribué pour une certaine somme, le gouvernement de la RDC n’a jamais versé sa part, explique Muiti.



“Le PNUD a honoré son engagement, mais pas le gouvernement,” dit-il.



C’est ce manque de soutien fondamental de la part du gouvernement qui a vraiment mené à l’échec de la CVR, déclare Adjami.



“Il n’y avait pas de volonté politique de vraiment étudier le passé et de chercher la responsabilité pour les crimes passés,” dit-elle.



C’est toujours le cas, explique Adjami, même si l’ancien président de la CVR, le Sénateur Jean-Luc Kuye, a présenté l’année dernière un projet du Sénat visant à former une nouvelle commission. Le projet n’a cependant pas été mis à l’ordre du jour et semble bénéficier de très peu de soutien politique au Sénat et dans le gouvernement en général.



Selon Muiti, le gouvernement, préfère traiter de ces questions d’une manière différente. Il parle d’un projet adopté en mai qui accorde l’amnistie à ceux qui ont participé à des “actes de guerre” – excluant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité – au Nord et au Sud Kivu depuis 2003.



Cependant, l’amnistie ne permet pas de commencer à aborder les problèmes sous-jacents auxquels les communautés affectées par des années de violence et de guerre doivent faire face, a indiqué Muiti.



“Ces groupes armés ont commis des crimes dans la communauté, même s’ils bénéficient de l’amnistie et qu’ils sont intégrés à l’armée nationale," a-t-il dit.



Cependant, Muiti et d’autres dirigeants de la société civile gardent espoir qu’une commission opérationnelle puisse être ressuscitée.



“Les gens espèrent [avoir] une autre commission ou un autre mécanisme qui pourrait les aider à vivre ensemble,” déclare Anaclet Tshimbalanga, qui travaillait avec la commission originale dans la province du Kasaï occidental. “Les gens doivent s’exprimer, promettre de ne pas commettre de crimes, pour être unis et reconstruire la nation.”



Pitsen Angunda, chef du groupe civil Tusikilizane basé au Sud Kivu, soutien également le rétablissement des commissions.



“Une nouvelle institution peut répandre la vérité [et aide les gens] à se réconcilier et à avancer ensemble vers la démocratie,” a-t-il dit.



Lors de la réunion de juillet en Ituri avec le Procureur de la CPI, un porte-parole du groupe ethnique lendu avait dit qu’une CVR pouvait aider la communauté à se remettre d’années de conflit et de violence.



"Pour que l’on puisse parler de réconciliation, la vérité doit d’abord être connue; puis le pardon doit venir après et enfin les réparations," déclare Deda Tikpa. "Aucune de ces étapes n’a eu lieu en Ituri. Aucune opportunité formelle n’a été donnée pour dire la vérité."



Ange Katsuva, qui a perdu trois enfants et son mari lors de la guerre de 1996 au Nord Kivu, a indiqué que les conflits régionaux ne cesseront pas si les gens les ignorent.



“Renouveler la CVR c’est faire avancer la vérité, [pour] établir les faits, [et] réparer et soigner nos blessures,” a-t-elle dit.



C’est précisément ce que le système des “gacaca” du Rwanda voisin basé sur la communauté cherche à faire.



Bien qu’il s’agisse au départ d’une tradition locale, les gacaca sont maintenant intégrés au système de justice nationale. Ils étaient destinés à faciliter la tâche d’emprisonner et de traduire en justice les quelques 100 000 auteurs présumés de génocide qui ne comparaîtront pas devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, Tanzanie.



Les gacaca permettent aux suspects de confesser leurs crimes et de chercher le pardon en échange de sentences réduites et de travail au service de la communauté comme les TIG.



Même si le système a reçu son lot de critiques, il a aussi permis à certains auteurs et victimes de se réconcilier et de coexister paisiblement.



Juliette Mukakabanda est une survivante du génocide rwandais qui a perdu son mari et deux de ses fils. Elle a expliqué que les gacaca l’avaient aidée à vivre paisiblement au côté des auteurs qui ont exprimé des remords pour leurs actes.



"Je vis en harmonie avec ceux qui ont demandé pardon devant les gacaca," dit-elle. "Cela me soulage. J’offre parfois de la bière à mon voisin Nirimbuka [qui a été] reconnu coupable d’avoir [commis] des massacres. Nous nous prêtons même de l’argent."



Ce niveau de réconciliation serait un objectif pour une commission en RDC, mais des observateurs indiquent que toute initiative doit commencer avec des changements plus importants dans le système de justice national.



“Les autorités congolaises doivent trouver des stratégies efficaces pour atteindre un véritable État de droit et développer le pays,” explique Joseph Kikamba, un responsable public de Kinshasa. “Cela peut commencer par ‘dire la vérité’.”



Selon Adjami, il s’agit là précisément du défi à relever : développer un système juridique opérationnel qui soit assorti d’autres mécanismes de justice transitionnelle.



“Il existe clairement un désir de la part de la population congolaise de faire la lumière sur les violations massives des droits de l’Homme,” dit-elle. “Je pense qu’il existe également un certaine conscience … qu’iI sera nécessaire de mener une stratégie de poursuite nationale pour traiter des crimes du passé.”



Cette stratégie devrait "émerger d’un véritable dialogue national sur la justice transitionnelle", a ajouté Adjami.



Si la RDC devait un jour décider de mettre en œuvre une nouvelle CVR, a indiqué Adjami, elle devrait être complètement indépendante et transparente.



Les commissaires présidents devraient être choisis sur "des critères stricts établissant leur intégrité morale, leur indépendance et leur compétence... [et] les commissaires devraient être représentatifs de la population et s’efforcer d’atteindre un équilibre de genre, ethnique et régional".



Mais plus important encore, selon Muiti, elle devrait donner une voix aux victimes et permettre aux auteurs de chercher à expier leurs crimes.



“Je pense que quand les gens peuvent dire la vérité, reconnaître leurs fautes, et se confesser sincèrement, c’est très important pour l’auteur, les victimes et toute la communauté,” a-t-il dit. “C’est là où nous devons aller.”



Henriette Kumakana et Jacques Kahorha sont stagiaires auprès de l’IWPR. Rachel Irwin est reporter de l’IWPR à La Haye.
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