Le procès de Ngudjolo sujet à des accusations de double incrimination

Mathieu Ngudjolo affirme qu’il a déjà été acquitté en RDC pour les mêmes charges que celles dont la CPI l’accuse.

Le procès de Ngudjolo sujet à des accusations de double incrimination

Mathieu Ngudjolo affirme qu’il a déjà été acquitté en RDC pour les mêmes charges que celles dont la CPI l’accuse.

Wednesday, 27 February, 2008
Mathieu Ngudjolo Chui, le troisième Congolais détenu à la Cour pénale internationale, CPI, a remis en question la recevabilité de l’affaire à son encontre, prétendant qu’il avait déjà été jugé et acquitté pour des faits similaires dans son pays natal de la République démocratique du Congo, RDC.



Son avocat, Jean-Pierre Kilenda Kakengi Basila a réclamé plus de temps aux juges de la CPI afin de rassembler les preuves de procédures nationales visant Ngudjolo. Il a également requis que les Procureurs communiquent les informations se rapportant aux procès menés en RDC, dont ils ont eu connaissance au cours de leurs enquêtes.



Basila a indiqué qu’il avait également contacté les avocats de Ngudjolo à Bunia et Kinshasa pour obtenir leurs documents et dossiers.



Ngudjolo est l’ancien chef du groupe de milice Front national intégrationniste, FNI, et le troisième chef rebelle de RDC accusé par la CPI de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, qui auraient eu lieu à Bogoro, un village au nord-est de la région de l’Ituri, en 2003.



Le 7 février, il a rejoint Thomas Lubanga Dyilo, chef de l’Union des Patriotes Congolais, UPC, et Germain Katanga, chef de la Force de résistance patriotique en Ituri, FRPI, qui était déjà détenus par la Cour.



Lors de sa comparution initiale du 11 février, Basila a lu une lettre de Ngudjolo déclarant qu’il avait déjà été jugé et acquitté en RDC pour des faits similaires.



"Je ne comprend pas pourquoi j’ai été arrêté à nouveau par la Cour pénale internationale,” a lu Basila.



La CPI peut uniquement enquêter et poursuivre des crimes de guerre si un pays n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de le faire lui-même. En 2004, le gouvernement de la RDC avait écrit à la CPI en invitant ses enquêteurs dans le pays, reconnaissant qu’elle était incapable de tenir ses propres enquêtes et procès.



Les Procureurs de la CPI accusent Ngudjolo de neuf chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, comprenant des meurtres, actes inhumains, la réduction en esclavage sexuel et l’utilisation d’enfants soldats en lien avec une attaque sur le village de Bogoro au cours de laquelle 200 civils avaient péri.



Ngudjolo avait été arrêté en RDC en octobre 2003 pour le meurtre d’un homme d’affaires hema, puis jugé au Tribunal de Grande Instance de Bunia.



Il fut acquitté en juin 2004 en raison d’un manque apparent de preuves, certains groupes de défense des droits de l’homme considérant que ce résultat fut plutôt entraîné par le fait que les témoins avaient trop peur de comparaître.



Alors qu’il était détenu pour l’accusation de meurtre, le gouvernement de la RDC accusa Ngudjolo de crimes de guerre commis dans la ville de Tchomia en mai 2003. Il fut ensuite transféré à Kinshasa pour y être jugé par un Tribunal militaire, et fut détenu à la prison de Makala d’où il s’échappa avant qu’un jugement ne soit rendu.



L’état d’avancement du procès pour crimes de guerre à l’encontre de Ngudjolo au moment où celui-ci s’échappa reste enveloppé d’un grand mystère.



Federico Borello de l’Unité de justice transitionnelle et lutte contre l’impunité à la MONUC, la force de maintien de la paix de l’ONU en RDC, a indiqué que son équipe avait approché les autorités judiciaires pour clarifier ce qui s’était passé après que Ngudjolo se soit échappé.



“Personne ne semble avoir de traces de cela. Nous savons juste que Ngudjolo fut transféré au sujet du massacre de Tchomia, mais qu’il s’est ensuite enfui. Ce qui s’est passé entre temps nous n’en savons rien - même pas s’il y a eu des audiences. Mais il n’y a jamais eu un jugement contre lui,” a expliqué Borello.



L’IWPR a réussi à rentrer en contact avec le Major John Penza Ishayi, un magistrat auprès de l’Auditorat militaire de garnison de l'Ituri à Bunia, qui a confirmé que “Ngodjolo a été acquitté par le Tribunal de Grande instance de Bunia.“



“L’Accusation a fait appel du verdict. Alors que Ngudjolo était en détention à la prison de Makala à Kinshasa, une seconde affaire fut initiée contre lui pour attaque systématique lancée contre les populations civiles de Tchomia et Bogoro.”



Cependant, selon le juge d’instruction, Ngudjolo ne fut jamais jugé pour la deuxième affaire.



“Le dossier a été transféré au Parquet national mais Ngudjolo n’a jamais été interrogé. En fin de compte, Ngudjolo n’a jamais été poursuivi ou condamné pour les charges dont l’accuse la CPI.”



Anneke Van Woudenberg de Human Rights Watch, HRW, a confirmé que deux affaires avaient été ouvertes à l’encontre de Ngudjolo sur le plan national. Cependant, elle a indiqué à l’IWPR que ces procédures ne pouvaient donner lieu à des revendications de double incrimination relativement à l’acte d’accusation de la CPI.



“Il n’a pas été acquitté pour crimes de guerre mais pour meurtre devant un Tribunal civil. Il n’y a pas eu de jugement relatif aux accusations de crimes de guerre pour le massacre de Tchomia,” a indiqué Van Woudenberg.



Les Procureurs de la CPI indiquent qu’ils ont minutieusement étudié la recevabilité de l’affaire contre Ngudjolo et sont sûrs qu’il n’y a pas eu de procédure nationale relativement aux charges spécifiques qu’ils avancent pour les crimes de guerre de Bogoro en 2003.



Beatrice Le Fraper Du Hellen, qui travaille à la CPI sur les questions de recevabilité et les relations de la Cour avec les institutions nationales, a indiqué qu’avant de décider d’intervenir dans un pays, les juristes de la CPI étudient soigneusement les procès ayant eu lieu au niveau national pour s’assurer qu’ils n’y a pas déjà des procédures en cours.



“Si nous voyons qu’il n’existe pas de telles procédures, nous pouvons décider d’ouvrir une enquête et nous focaliser sur des incidents très précis, pour ensuite faire un test plus spécifique par rapport à la recevabilité quant aux incidents sur lesquels nous enquêtons pour voir s’il y a eu des procédures,” a-t-elle indiqué.



“C’est un processus très minutieux avant, et après l’ouverture d’une enquête.”



Depuis 2004, l’Union européenne, UE, a investi de l’argent dans le système judiciaire de la RDC dans une tentative de soutenir l’État de droit en Ituri, qui a souffert de violences inter-ethniques sanglantes depuis que la grande guerre de 1998-2003 a pris fin au Congo.



Cependant, le système judiciaire national reste miné par les problèmes, parmi lesquels on compte l’obstruction des autorités, les problèmes de sécurité et un manque de protection pour les témoins.



Bien que l’UE ait commencé à financer le Tribunal de Bunia en janvier 2004, le gouvernement congolais n’a pas permis à ses procureurs de poursuivre les auteurs présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Ituri - une source de frustration pour HRW.



Le groupe de pression a indiqué que les chefs de milice d’Ituri avaient été poursuivis pour des contraventions et souvent acquittés ou condamnés à des peines qui ont pu amener la population locale à douter du sérieux des nouvelles autorités judiciaires de Bunia.



Même les juges du tribunal ont critiqué le système, particulièrement relativement à la sécurité, étant donné le nombre important d’entre eux à avoir reçu des menaces de mort, ce qui a donné lieu à une suggestion du Procureur que les procès soient tenus ailleurs qu’à Bunia.



Malgré la présence des casques bleus de la MONUC, des témoins qui devaient témoigner contre des chefs de milice s’étaient rétractés en raison de menaces de groupes armés, qui, selon HRW pourraient expliquer l’acquittement de Ngudjolo pour les chefs d’accusation de meurtre devant le Tribunal de Bunia en juin 2004.



“Alors qu’il était apparu très confiant au début du procès, le Procureur fut au bout du compte uniquement capable de produire un seul témoin à charge. Les autres témoins qui avaient fait des dépositions lors de l’enquête les retirèrent et refusèrent de comparaître devant le Tribunal en raison de pression de la part des chefs du FNI,” selon un document émanant de HRW.



“L’unique témoin de l’Accusation a simplement témoigné à la première audience devant la Cour, avant de refuser d’apparaître aux sessions suivantes, faisant état de menaces insistantes croissantes de la part de sympathisants du FNI. Au final, le Procureur n’avait plus rien pour soutenir son affaire et la seule option qui restait à la Cour fut d’acquitter Matthieu Ngudjolo en raison d’un manque de preuves.”



Certains commentateurs affirment que même si Ngudjolo ne s’était pas échappé et avait été jugé pour crimes de guerre dans son propre pays, le procès n’aurait pas atteint les standards de la communauté internationale.



Van Woudenberg a indiqué que son équipe avait constaté “des problèmes significatifs avec les procédures militaires et civiles au sein de la RDC, marquées par une interférence politique significative lors des procès ”.



Elle a ajouté qu’il n’y a pas de programme de protection des témoins au Congo, et pas de loi stipulant comment les témoins peuvent être protégés.



Borello, qui a surveillé de nombreuses affaires en RDC ces dernières années, a indiqué que certaines avaient abouti à des jugements satisfaisants, alors que d’autres ont été marqués par de graves erreurs judiciaires.



Il a indiqué qu’il est “difficile de savoir” comment le procès de Ngudjolo pour crimes de guerre aurait abouti s’il avait eu lieu à Kinshasa.



Alors que le Tribunal militaire de Bunia a été soutenu par un financement de l’UE, celui de Kinshasa ne l’a pas été.



“Le Tribunal militaire de Bunia a réussi à atteindre une bonne qualité dans ses jugements, parce qu’il a été soutenu par l’UE et que les juges ont été formés et payés, mais dans d’autres parties du pays, la qualité est très médiocre,” a indiqué Borello.



Katy Glassborow est l’un des reporters de justice internationale auprès de l’IWPR. Marie Delbot, basée à Paris, est chercheur pour l’IWPR.
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