Les journalistes congolais craignent de se faire assassiner

Par Ewing Amadi Salumu, présentateur de l’émission de radio Face à la justice de l’IWPR

Les journalistes congolais craignent de se faire assassiner

Par Ewing Amadi Salumu, présentateur de l’émission de radio Face à la justice de l’IWPR

Friday, 28 November, 2008
Didace Namujimbu, journaliste auprès de la radio congolaise Radio Okapi, a été assassiné de sang froid le 22 novembre à Bukavu, à quelques mètres de sa maison.



Agé de 30 ans, intelligent, averti et souriant, Namujimbu investissait toute son énergie à apporter des informations claires et précises au public à Bukavu, dans la province du Sud Kivu à l’est du Congo, et à tous les Congolais écoutant Radio Okapi au sein du pays.



Il se consacrait à la recherché de la vérité et était un grand sportif, particulièrement doué au basket.



Namujimbu est le deuxième journaliste de Radio Okapi à s’être fait assassiner dans l’année et demie écoulée. Son collègue et ami, Serge Maheshe, avait été tué le 13 juin 2007.



Bien que le tribunal militaire de Bukavu ait condamné trois civils à mort pour le meurtre de Maheshe, des experts juridiques locaux et internationaux ont parlé d’un procès vicié.



Le Comité pour la protection des journalistes, CPJ, a rapporté que seul le téléphone de Namujimbu avait été volé au cours de l’attaque et non pas son portefeuille contenant 50 dollars US. Des articles ont indiqué que les voisins avaient entendu un échange animé avant qu’il ne soit abattu d’une seule balle dans la tête.



Selon le CPJ, Namujimbu est le cinquième journaliste congolais à avoir été assassiné depuis 2005. Les trois autres sont Patrick Kikuku Wilungula, Franck Ngyke Kangundu et Bapuwa Mwamba. Les motifs de tous ces meurtres restent flous.



Ce qui est clair est que le journalisme est une profession de plus en plus dangereuse au Congo. Il y a quelques mois, Kubali Kikuni, un cameraman de la télévision d’état congolaise, a été violement battu par des hommes en uniforme non loin d’un camp militaire à Bukavu.



Donat Musema, le directeur de la radio Iriba de Bukavu, a indiqué qu’il était scandalisé par la violence et se demande qui sera la prochaine victime. C’est la question qui préoccupe de nombreux journalistes Congolais qui travaillent dans de mauvaises conditions, dans l’insécurité et sans liberté d’expression.



Au début des tensions au Nord Kivu entre les troupes de l’armée congolaise, les FARDC, et celles du mouvement rebelle Congrès national pour la défense du peuple, CNDP, les autorités provinciales avaient demandé aux journalistes de faire preuve de plus de “patriotisme” dans leurs articles.



Patriotisme, qu’est-ce que cela signifie?



Le journaliste de Radio Walikale au Nord Kivu récemment arrêté par un agent de l’Agence nationale du renseignement, ANR, qui enquête sur les crimes contre l’État tels que la trahison et la conspiration, avait-il fait preuve de trop peu de patriotisme? Son “crime” fut de diffuser une interview avec le porte-parole du CNDP, Bertrand Bisimwa.



Cette insécurité et la peur de se faire assassiner auxquels les journalistes congolais sont confrontés de manière quotidienne a toujours existé.



Dire le contraire de ce que pense l’autorité ou dénoncer certains détournements ou malversations financières n’est pas possible. Les journalistes qui le font sont battus et emprisonnés par la police et l’ ANR.



Un exemple d’article trop sensible pour être publié concernait le vol de nourriture destinée aux troupes des FARDC sur la ligne de front au Nord Kivu. Les kits de restauration furent détournés et retrouvés sur les étalages des boutiques à Kisangani.



Journalistes en danger, JED, une ONG qui défend les droits de la presse, a écrit dans une lettre ouverte au président Joseph Kabila que sans liberté d’expression et protection contre les tentatives d’intimidation, le travail des journalistes congolais devient impossible.



En attendant, les journalistes sont exhortés à faire très attention. Mais leur emploi du temps rend cela très difficile. Ils quittent souvent leur domicile très tôt le matin et ne rentrent pas avant tard le soir, par les transports publics, quand les rues de Bukavu sont sombres et vides.



Les coupures de courant sont fréquentes et les journalistes, pour la plupart, vivent dans des zones mal éclairées – les endroits où ils sont le plus vulnérables.



“A partir de 19h, il faut éviter les endroits sombres et aller directement dans des endroits [bien éclairés],” a indiqué Leon Baroani, un ancien journaliste de la station de radio de Bukavu, Radio Agatashya et aujourd’hui directeur du bureau de l’ONG Search for Common Ground à Bukavu.



Donat Mbaya, coordinateur de JED, a exhorté les journalistes à prendre des précautions en mai 2008.



“Il ne faut pas prendre les mêmes routes chaque jour, il faut avoir plusieurs numéros de téléphone pour éviter les traceurs en cas de poursuites. Il faut disposer de contacts en cas de menaces. Avoir un point repli connu de vous seul,” a-t-il conseillé.



Entre-temps, l’insécurité persiste et Namujimbu a été assassiné. Les Congolais s’interrogent, qui sera le prochain?





Ewing Amadi Salumu est un journaliste base à Bukavu, et le présentateur en Swahili de l’émission de radio Face à la justice d’IWPR.



Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de l’IWPR.
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