Les milices décrient la loi d'amnistie du Kivu
Les milices déclarent que le partage des pouvoirs et la protection gouvernementale sont aussi nécessaires pour garantir la paix.
Les milices décrient la loi d'amnistie du Kivu
Les milices déclarent que le partage des pouvoirs et la protection gouvernementale sont aussi nécessaires pour garantir la paix.
Certains bénéficiaires de la loi pensent aussi qu’elle ne va pas assez loin et qu’en l’absence d’un partage du pouvoir politique et d’une meilleure sécurité, la région pourrait replonger dans la guerre.
Au début du mois de mai, le président congolais Joseph Kabila avait signé une loi accordant le pardon aux combattants pour les violences liées à la guerre commises au Nord Kivu tout comme au Sud Kivu entre juin 2003 et le 7 mai 2009, date de l’entrée en vigueur de la loi. Celle-ci exclut le génocide et d’autres crimes internationaux tels que les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre et se limite aux provinces des Kivus.
La loi pourrait encourager la culture de l’impunité déjà présente dans la région, averti le Centre international pour la justice transitionnelle, CIJT, une organisation internationale non gouvernementale, qui a des bureaux à Kinshasa, la capitale de la RDC.
“Étant donné les limites de la justice congolaise et la culture de l’impunité, la nouvelle loi risque de fonctionner comme une amnistie générale pour tous les crimes commis par tout citoyen congolais prétendant avoir agi dans le cadre de la guerre et de l’insurrection dans les Kivus,” déclare un communiqué du CIJT.
En outre, Mirna Adjami, chef de mission du CIJT à Kinshasa, a déclaré que l’amnistie aurait du être accompagnée par d’autres mesures.
“Les sociétés qui sortent tout juste d’un conflit armé ou d’un régime autoritaire sont mises face à des violations massives des droits de l’Homme [qui ne peuvent être ignorées],” a-t-elle dit.
“Et dans de tels cas, les lois d’amnistie devraient être adoptées au côté d’autres mesures de justice transitionnelle encourageant la recherche de la vérité, les réformes institutionnelles et les réparations, afin de promouvoir efficacement la paix et la réconciliation.”
Cette nouvelle loi est la dernière tentative en date pour apporter une paix qui n’a pas réussi à s’installer dans la région malgré un accord de paix largement acclamé signé en janvier 2008 à Goma, la capitale orientale du Nord Kivu, par le gouvernement et plus de 20 groupes de milice, qui n’a pas eu l’effet escompté.
“Nous pensons que cette loi établit l’impunité des auteurs de graves violations des droits de l’Homme,” a déclaré l’avocate Nicole Mwaka, directrice générale de Carrefour des femmes et des familles, une ONG qui travaille en RDC.
Des activistes des droits de l’Homme dans d’autres endroits du pays se sont plaint au sujet des limites géographiques de la loi.
“Je pense qu’une étape significative a été franchie avec cette amnistie…mais malheureusement, elle s’applique seulement à l’est du pays,” a déclaré Angelo Mayambula, directeur de la Chaîne de solidarité, un groupe religieux dans la province du Bas-Congo, dans l’ouest de la RDC.
La loi aurait du être adoptée par un référendum national, a déclaré Deogracias Vale, de Socipo, un groupe de la société civile dans la province orientale de la DRC. Dans le cas inverse, cela laisse d’autres régions troublées embourbées dans “un cycle de violence permanent”, a-t-il dit.
La zone qui a le plus besoin d’une amnistie est la région de l’Ituri de la province orientale, a déclaré Jean-Pierre Ngabu, parlementaire en Ituri.
“Nous voulions que cette loi soit étendue à l’Ituri,” a déclaré Ngabu. “Les crimes commis par les groupes armés en Ituri ne sont pas différents de ceux qui ont été commis au Kivu, mais les milices du Kivu ont [reçu] un traitement spécial en bénéficiant de l’amnistie.”
Ngabu a indiqué qu’il craignait qu’en raison de la loi, les chefs de milice comme Bosco Ntaganda, qui est actuellement dans les Kivus mais a été lié aux crimes dans la région de l’Ituri et est recherché par la Cour pénale internationale, CPI, pour des crimes de guerre, puissent s’en sortir libres.
“Bosco Ntaganda a commis des crimes en Ituri et est en liberté au Nord Kivu. Il est même recherché par la CPI,” a déclaré Ngabu.
“Mais … parce qu’il est natif du Nord Kivu”, il pourrait être protégé par la nouvelle loi, a-t-il dit. “S’il était natif de l’Ituri, le gouvernement aurait déjà pu le livrer.”
En excluant la région de l’Ituri de la loi d’amnistie, les chefs de communauté de la zone ont peu à offrir lorsqu’ils demandent aux groupes armés de se rendre, a-t-il dit.
“Nous sommes à court d’arguments aujourd’hui pour convaincre les autres groupes restants d’abandonner leurs armes et de rejoindre l’armée nationale ou la vie civile,” a expliqué Ngabu.
Cependant, en dépit du fait qu’ils bénéficient d’une amnistie, certains chefs de milice du Kivu indiquent que cela ne suffit pas. Ils veulent un accord de partage du pouvoir et une protection active de leurs villages par l’armée nationale.
Sans cela, les groupes indiquent qu’ils pourraient être forcés de retourner à la guerre.
“Nous intégrons nos soldats dans l’armée nationale, mais il y a aussi des chefs politiques qui dirigeaient ces armées,” a déclaré Askofu Bikoyi Mukongo, coordinateur politique des Mai-Mai Kifufua, un ancien groupe armé du Nord Kivu.
“Nous demandons au gouvernement de nous intégrer dans la gestion du pays,” a déclaré Mukongo, ce qui pourrait, selon lui, être fait sans élection.
“Personne parmi ceux qui travaillent pour le gouvernement n’a été élu. Il y a les ministres, les gens qui travaillent dans les institutions publiques locales, provinciales et nationales sans avoir été élus par le peuple. Nous pouvons aussi être intégrés de la même manière,” a-t-il dit.
Même si le pouvoir pouvait être partagé, les groupes armés du Kivu auraient besoin d’avoir les moyens de protéger leurs villages, a-t-il dit, parce que la milice rwandaise des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR, a été active depuis le début de l’année.
Certains soldats Mai-Mai ont retardé leur intégration dans l’armée nationale pour protéger leurs proches, a déclaré Mukongo.
“Comme les soldats du gouvernement ne pouvaient pas défendre notre peuple, nous avons demandé à nos hommes de revenir défendre nos villages. La situation est calme désormais,” a-t-il dit.
Mukongo indique que pour que les Mai-Mai se démobilisent, le gouvernement doit mettre un terme aux FDLR dans la région. Si rien n’est fait, a-t-il averti, les Mai-Mai vont prendre les choses en main.
“Si le gouvernement ne met pas fin aux attaques des FDLR, nous allons mobiliser tous les Mai-Mai dans tout le pays… pour pouvoir défendre nos villages,” a déclaré Mukongo.
Jacques Kahorha et Désiré-Israël Kazadi sont des journalistes formés par l’IWPR.