Les procès de la CPI victimes de réductions budgétaires
Des problèmes de financement pourraient retarder les audiences et gêner le processus judiciaire.
Les procès de la CPI victimes de réductions budgétaires
Des problèmes de financement pourraient retarder les audiences et gêner le processus judiciaire.
Une partie du problème est due au fait que la deuxième salle d’audience de la CPI est utilisée par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour le procès de l’ancien président libérien Charles Taylor, qui devrait durer au moins jusqu'à la mi-2010.
Mais même si la deuxième salle d’audience était disponible, les analystes indiquent que cela pourrait ne pas faire de différence, étant donné que la CPI ne peut actuellement pas se permettre d’opérer plus d’une salle d’audience à la fois. La Cour a basé les projections budgétaires de l’année prochaine sur l”idée que ses procès seraient menés au rythme d’une affaire à la fois, à tour de rôle.
En pratique, cela signifie qu’un procès sera vraisemblablement tenu le matin, un autre l’après-midi. Lorsque l’un de ces procès entrera en vacances judiciaires, un troisième pourrait commencer.
Ainsi, trois affaires séparées - contre Thomas Lubanga; Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo; et Jean-Pierre Bemba, tous originaires de la République démocratique du Congo, RDC – vont probablement se partager une seule salle d’audience pour économiser de l’argent.
Des observateurs indiquent que cela pourrait causer des problèmes logistiques majeurs et également menacer le droit des accusés à être jugés dans une période de temps raisonnable.
“Il est préoccupant de penser que nous pouvons enfin atteindre l’étape à laquelle nous sommes arrivés … que les accusés soient devant le Tribunal - et nous entendre dire qu’il n’y a pas assez de ressources pour organiser les procès d’une manière rapide, et bien évidemment cela a des incidences sur le droit à un procès équitable des accusés,” a déclaré Lorraine Smith, directrice de programme pour la CPI à l’Association internationale du barreau.
La procédure dans l’affaire de l’ancien chef de milice Lubanga est à l’arrêt depuis de nombreux mois mais devrait reprendre le 6 janvier.
Le procès des anciens chefs de milice Katanga et Ngudjolo, qui avait débuté le 26 novembre, a été ajourné le 2 décembre et reprendra le 26 janvier.
L’affaire de l’ancien vice-président Bemba, accusé de crimes en République centrafricaine, reprendra le 27 avril.
En outre, il y aura probablement des audiences liées au chef rebelle soudanais Abu Garda – pour lequel l’audience de confirmation des charges a eu lieu récemment – et à l’activité de la Cour entourant la demande récente du Procureur pour que les juges autorisent une enquête au Kenya.
Les analystes se demandent comment la CPI va s’en sortir.
“Il est assez difficile de gérer toutes ces [affaires] avec des installations et des ressources limitées,” a déclaré Elizabeth Evenson, une avocate du programme justice internationale de Human Rights Watch.
Alors que son budget permet seulement des procès consécutifs, la CPI a indiqué avoir au moins réfléchi à la manière dont elle pourrait faire face à des procédures parallèles, si elles étaient jugées nécessaires.
Lors d’une récente conférence de presse, le Greffe de la CPI, Silvana Arbia, a déclaré que “trois procès en cours ... provoqueront des difficultés, mais nous allons y arriver et essayer de minimiser les risques”.
Sonia Robla, chef de l’information du public à la CPI, a indiqué, dans une déclaration faite à l’IWPR, que “au cas où il y aurait des procès simultanés, et si toutes les ressources disponibles sont [épuisées], la Cour a la possibilité d’utiliser le fonds en cas d’imprévus.”
Le fonds en cas d’imprévus est une enveloppe de dix millions d’euros, qui permet à la CPI de financer des évènements qui n’étaient pas prévus lors de l’élaboration du budget.
Mais l’idée que le fonds puisse être utilisé pour financer les procès programmés a soulevé certaines inquiétudes parmi les observateurs de la Cour.
“Nous ne sommes pas à l’aise de recourir au fonds en cas d’imprévus lorsque l’activité en cause est prévisible,” a déclaré Smith.
Robla a déclaré que la Cour était sur le point de finaliser un projet qui envisage la manière dont les trois procès prévus pour l’année prochaine pourront être tenus. Elle a refusé de donner plus de détails.
Sur le long terme, le fait de mener les procès l’un après l’autre coûtera à peu près la même somme que de les conduire en parallèle, étant donné que la quantité de ressources nécessaire à chaque procès est la même.
Mais pour l’année prochaine, la période pour laquelle le budget est approuvé, le fait de tenir les procès dans une seule salle d’audience – sans pour autant forcément les terminer – permettra de réaliser des économies.
La Cour doit payer des interprètes – généralement pour au moins trois langues différentes – et également gérer les technologies requises pour diffuser les audiences sur le site Internet de la Cour et remettre des comptes-rendus en temps réel aux personnes présentes à l’audience.
En outre, les procès ont besoin d’huissiers pour les aider dans divers aspects de la procédure ainsi que de gardes de sécurité, qui doivent surveiller la galerie du public et les prévenus à l’intérieur de la salle d’audience.
La Cour a fait face a une pression croissante de la part des pays qui la soutiennent de ne pas augmenter les frais.
Le budget pour 2010 a été débattu et conclu lors de l’Assemblée des États parties, AEP, qui s’est réunie à La Haye à la fin novembre. Chaque année, les 110 pays qui financent la Cour décident d’un budget final, qui s’élève cette année à près de 103 millions d’euros.
Alors que ce budget ne prévoit pas encore de fonds pour les procès simultanés de l’année à venir, il représente une amélioration par rapport à l’année dernière lorsque les États avaient décidé de supprimer cinq millions d’euros du budget recommandé de 100 millions d’euros.
Jonathan O’Donohue, un conseiller juridique auprès d’Amnesty International, a déclaré que la décision de l’année dernière de procéder à des réductions “portait atteinte à l’intégrité du processus” et ignorait le conseil des experts ayant examiné le projet de budget et fait les recommandations finales à l’AEP.
Le processus s’est mieux passé cette année, mais l’AEP a imposé certaines réductions, dont une réduction de sept pour cent de l’aide juridique pour la défense – bien qu’il eût été possible d’utiliser les fonds d’autres programmes.
Un des principaux facteurs qui se cachent derrière le montant insuffisant du financement, selon O’Donohue, est le sentiment de certains États que tout l’argent investi jusqu’à présent n’a produit que peu de résultats.
“Vous êtes face à une Cour qui a sept ans et qui a ouvert seulement récemment son premier procès,” a-t-il dit, faisant référence au procès de Lubanga, qui a finalement commencé le 26 janvier 2009 après de nombreux retards très critiqués.
“A ce point précis dans l’histoire de la Cour, il existe des inquiétudes qu’il y ait beaucoup d’investissements sans que cela n’aboutisse à de nombreux résultats.”
Cependant, O’Donohue a déclaré que ce serait une erreur de la part des États de totaliser “les sept premiers budgets et de conclure que ces centaines de millions d’euros sont le coût du procès qui a lieu ”.
Il existe également une prise de conscience croissante que la justice internationale est une entreprise très coûteuse, comme cela a déjà été vu avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, TPIY, et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, TPIR. Ces deux tribunaux sont des tribunaux temporaires qui ont coûté des millions d’euros depuis qu’ils ont commencé à travailler au milieu des années 90.
“La justice internationale peut coûter très cher en termes de mise en place et de fonctionnement d’un tribunal,” a déclaré O’Donohue, soulignant le coût des salaires, de la construction de bâtiments, des voyages, des enquêtes, des services de traduction et de l’assistance juridique pour les accusés et les victimes, parmi d’autres dépenses.
Certains États soutiennent aussi que la crise financière mondiale a frappé fort et qu’ils ont des priorités en concurrence dans leurs propre pays, a expliqué O’Donohue.
Toutes ces questions jouent un rôle sur la manière dont l’AEP voit la Cour, a déclaré Francisco Aguilar-Urbina, l’ambassadeur du Costa Rica aux Pays-Bas et coordinateur du groupe de travail sur le budget de la CPI à l’AEP 2010.
Tout en reconnaissant qu’il existe des inquiétudes parmi certains États que la Cour n’ait pas répondu aux attentes, il a ajouté que le climat économique actuel était peut-être une considération plus pressante.
“Nous subissons une crise économique dans des proportions jamais vues depuis la grande dépression,” a-t-il dit. “Il est très difficile de donner plus d’argent [à la CPI] alors que chez nous les gens se retrouvent sans hôpitaux, sans écoles ou services de base.”
Il a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu de pression excessive sur la Cour pour qu’elle réduise ses dépenses, mais a indiqué qu’il n’était pas présent à la réunion de l’AEP de l’année précédente lorsque la réduction de cinq millions avait été décidée.
Pour autant, il a souligné que “les États ont le droit de remettre en question l’utilisation qui est faite de leur propre argent ”.
En ce qui concerne l’année à venir, Smith a expliqué que la Cour aurait à trouver un moyen de tenir trois procès différents d’une manière “efficace et rapide”.
Et les efforts visant à réaliser des économies en menant les procès l’un après l’autre pourraient ne pas s’avérer plus économiques, a déclaré O’Donohue.
“Il s’agit d’un exemple d’une situation dans laquelle…les efforts visant à aboutir à une plus grande efficacité peuvent en fait provoquer une certaine inefficacité,” a-t-il dit. “Les procès peuvent être retardés ou ne pas aller aussi vite que la Cour le souhaite.”
Smith a confirmé cet avis, ajoutant que les faibles progrès de la procédure pourraient finir par revenir cher.
“Vous devez encore payer le personnel, vous devez toujours protéger les témoins, et vous devez encore gérer les victimes,” a-t-elle dit.
Il existe aussi des inquiétudes quant au fait que le souhait de réduire le budget pourrait finir par modifier la politique à la CPI.
“Si vous avez des États qui sont juste intéressés par une réduction des finances, et que vous avez des réductions qui sont recommandées sans être motivées par une compréhension réelle de la nature des ressources [nécessaires], vous aboutissez à une sorte de politique de facto, même si le but est juste de réduire les coûts,” a déclaré Evenson.
Rachel Irwin est reporter de l’IWPR à La Haye.