Un seigneur de guerre congolais condamné à 14 ans pour l'utilisation d'enfants soldats
La décision historique de la CPI a été saluée mais pour les groupes de défense des victimes, la Cour aurait du aller plus loin.
Un seigneur de guerre congolais condamné à 14 ans pour l'utilisation d'enfants soldats
La décision historique de la CPI a été saluée mais pour les groupes de défense des victimes, la Cour aurait du aller plus loin.
Thomas Lubanga Dyilo, seigneur de guerre congolais reconnu coupable des faits dont il était accusé, a été condamné à 14 ans de prison. Sa peine sera réduite de 6 ans pour tenir compte des années qu’il a déjà passées en détention à La Haye.
Les activistes ont largement salué le verdict rendu par la Cour pénale internationale, CPI, à La Haye, le 10 juillet dernier, bien qu’ils regrettent que la longue souffrance subie par les victimes de Lubanga n’ait pas été pleinement prise en compte.
Lubanga avait été reconnu coupable, le 14 mars dernier, de conscription d’enfants soldats de moins de 15 ans pour les incorporer à son groupe de milice – l’Union des Patriotes congolais, UPC – et de les avoir utilisés pour prendre part aux hostilités dans la région de l’Ituri, en République démocratique du Congo, RDC, entre 2002 et 2003.
Au vu de la situation financière de Lubanga, les juges de la CPI ont décidé de ne pas lui imposer d’amende, ce qu’ils auraient pu faire en vertu du statut de Rome, le traité fondateur de la Cour.
“Malgré des enquêtes poussées menées par la Cour, aucunes ressources significatives n’ont été identifiées,” a déclaré le juge président Adrian Fulford lors de sa lecture du résumé du verdict.
Lubanga est en détention à La Haye depuis mars 2006, date à laquelle il avait été transféré depuis la RDC.
Les juges ont débouté la Défense qui avait demandé que le temps passé par Lubanga en détention en RDC soit également décompté de sa peine. Ils ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas prouver que son incarcération en RDC était liée aux crimes pour lesquels il avait été jugé à La Haye.
La Défense peut faire appel du verdict. L’Accusation a déclaré qu’elle envisageait la possibilité de faire appel, et a souligné qu’elle avait requis une peine plus longue “conformément à la gravité des crimes et aux circonstances aggravantes”.
Pour le moment, on ne sait pas encore où Lubanga purgera sa peine. Etant donné que la CPI n’a pas d’endroit pour incarcérer les accusés qu’elle condamne, il sera sans doute transféré vers l’un des Etats parties au statut de Rome.
Le juge Elizabeth Odio Benito a émis une opinion dissidente par rapport aux conclusions de la majorité des juges, indiquant que, selon elle, Lubanga aurait du être condamné à 15 ans.
Elle soutient que la peine de 14 ans ne prend pas assez en compte les souffrances causées aux victimes de Lubanga et à leurs familles, en particulier en raison des punitions sévères infligées aux enfants soldats et de la violence sexuelle endurée par de nombreuses victimes.
Ce point de vue est partagé par Redress, une organisation de défense des droits de l’Homme basée à Londres, qui avait appelé à ce que les crimes de Lubanga soient envisagés de la manière la plus large dans le cadre de sa sentence.
“Les enfants soldats sont souvent forcés à attaquer leurs propres villages ou à commettre des atrocités contre leurs propres familles et voisins,” a déclaré Gaëlle Carayon, chargée de programme sur la CPI à Redress. “Quand ils rentrent chez eux, ils sont stigmatisés par leurs anciennes communautés. Beaucoup ont pris du retard dans leur éducation, et rencontrent des difficultés à reprendre le chemin de l’école. Le fait d’être un enfant soldat ne se limite pas à être enrôlé et exposé à la violence. Les conséquences vont bien plus loin que cela.”
OUBLI DES CHEFS D’INCULPATION DE VIOLENCE SEXUELLE
Malgré des campagnes menées par les groupes de défense des femmes, la violence sexuelle envers les femmes n’a pas joué un rôle déterminant dans le verdict prononcé à l’encontre de Lubanga. Bien que Lubanga n’ait jamais été inculpé pour des crimes de violence sexuelle, les règles de procédure et de preuve de la CPI permettent que des crimes supplémentaires soient pris en compte au moment du prononcé de la sentence.
Les juges ont reconnu que “la violence sexuelle, le viol et la soumission congénitale” ont eu lieu à l’époque où Lubanga tentait d’exercer son contrôle sur l’Ituri. Cependant, ils ont conclu que les preuves présentées étaient insuffisantes pour établir le lien entre cette violence sexuelle et le recrutement d’enfants soldats dont Lubanga était accusé.
Le juge Fulford a eu des mots sévères envers l’ancien procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo, qui, selon lui, aurait du, de lui-même chercher à inclure des chefs de violence sexuelle.
“La Chambre désapprouve fortement l’attitude de l’ancien procureur quant à la question de la violence sexuelle,” a déclaré Fulford. “L’ancien procureur a non seulement manqué de demander l’inclusion des chefs d’inculpation de violence sexuelle ou de réduction en esclavage sexuel tout au long de la procédure, y compris dans l’acte d’accusation initial, mais il s’est également activement opposé à prendre une telle mesure au cours du procès lorsqu’il a déclaré qu’une telle décision serait inéquitable pour l’accusé s’il était condamné sur cette base.”
Bien que la non inclusion des chefs d’inculpation de violence sexuelle dans l’acte d’accusation initial n’ait pas été déterminante pour envisager si la question devrait jouer un rôle dans le jugement de condamnation, Fulford a indiqué que l’équipe du procureur n’avait pas présenté suffisamment de preuves au cours du procès pour justifier une telle décision.
Brigid Inder, directrice générale de Women’s Initiative for Gender Justice, a qualifié ce manquement des juges à prendre en compte la violence sexuelle dans leur jugement de condamnation de Lubanga de “décision dévastatrice”.
“Le statut de Rome contient la formulation la plus développée des crimes de violence sexuelle en droit pénal international, en particulier dans les situations de conflit armé. Pourtant la première affaire de la CPI n’a inclus aucun chef d’inculpation de crimes à caractère sexuel,” a déclaré Inder.
Inder pense que si l’Accusation avait été plus rigoureuse dans l’élaboration de son argumentation contre Lubanga, elle aurait pu trouver des preuves démontrant un lien entre le criminel de guerre inculpé et les crimes de violence sexuelle dont l’existence a été reconnue par les juges.
“Malheureusement, l’ancien procureur a choisi de ne pas amender les chefs d’inculpation lorsqu’il était encore possible de le faire, en particulier avant l’audience de confirmation des charges en 2006,” a-t-elle dit. “Les décisions d’inculpation dans cette affaire ont gêné les progrès tout au long du procès y compris au stade de la condamnation.”
Inder a déclaré qu’elle avait été déçue que les juges n’aient pas reconnu la commission généralisée d’actes de violence sexuelle, malgré le nombre de témoins de l’accusation et de la défense ayant témoigné à ce sujet.
La manière dont Moreno-Ocampo a géré la question des violences sexuelles n’a pas été le seul reproche qu’il a reçu de la part des juges de la CPI. Le juge Fulford a également critiqué le fait que les décisions du Procureur aient entraîné deux interruptions de la procédure – une chose qui, selon lui, a été préjudiciable au bien-être de l’accusé, détenu à La Haye depuis 2006.
“Tout d’abord, l’Accusation a réuni une grande quantité de preuves en vertu d’accords de confidentialité... ce qui a empêché de dévoiler des preuves à décharge,” a déclaré Fulford. “Deuxièmement, l’Accusation a, à plusieurs reprises, manqué de respecter les ordonnances de divulgation.”
Ces deux manquements de l’Accusation ont, à différentes occasions, entraîné des interruptions de procédure et abouti à des décisions de libération provisoire de Lubanga.
Malgré cela, Fulford a déclaré que Lubanga avait été “respectueux et coopératif tout au long de la procédure” – et cela a été pris en compte dans le prononcé de la sentence.
Fulford a également émis certaines critiques à l’encontre de l’ancienne adjointe de Moreno-Ocampo, Béatrice Le Fraper du Hellen, qui, dans un article paru en mars 2010, avait fait ce que les juges ont considéré comme des “déclarations trompeuses” au sujet de l’accusé qui ont été préjudiciables à l’affaire.
“Il y a eu certaines erreurs sans précédents faites par l’ancien procureur dans cette affaire... que nous n’avons pas vraiment vues [dans la même mesure] dans d’autres tribunaux, et cela a abouti au résultat très décevant que nous avons pu observer,” a déclaré Inder. “Les gens espèrent que le nouveau procureur apportera un nouveau leadership, des améliorations et des changements à la CPI– en se basant sur des choses qui ont fonctionné et sur les compétences qui ont été développées– afin de rendre la Cour plus efficace dans les prochaines affaires.”
Une chose qui devrait changer, selon Inder, est la dépendance trop importante par rapport aux sources secondaires telles que les médias et les rapports d’ONG, en encadrant les chefs d’accusation criminels. Il serait bien mieux, selon elle, de permettre aux enquêteurs d’aller sur le terrain et de récolter des dépositions de première main et de baser leurs chefs d’inculpation là-dessus.
“Cela pourrait aboutir à des chefs d’inculpation plus efficaces, la confirmation efficace de plus de chefs d’accusation et une stratégie plus claire pour les procédures avec des poursuites,” a déclaré Inder.
Déçu par certains aspects de la sentence, les groupes de défense des droits de l’Homme espèrent désormais qu’une décision séparée sur les réparations rétablira les problèmes en replaçant les victimes au cœur de l’affaire. Une décision sur les réparations était attendue en parallèle de la sentence, mais les juges ont pris une décision de dernière minute pour la retarder. (Voir Lubanga Verdict Prompts Debate on Reparations pour plus d’informations sur cette question.)
Blake Evans-Pritchard est reporter pour l’IWPR à La Haye.