L'affaire de l'Ituri ravive les horreurs vécues par un village
Les villageois de Bogoro revivent des massacres présumés, qui sont au cœur de l’affaire de la CPI contre des chefs de milice.
L'affaire de l'Ituri ravive les horreurs vécues par un village
Les villageois de Bogoro revivent des massacres présumés, qui sont au cœur de l’affaire de la CPI contre des chefs de milice.
Bogoro est située dans le pays vallonné de l’Ituri, à seulement 25 kilomètres de Bunia, et à un carrefour vital de la région,reliant l’intérieur avec le lac Albert à l’est, et le sud de l’Ituri avec les communautés fermières et minières du nord.
Le village est également au centre d’un affaire de la Cour pénale internationale, CPI, contre Germain Katanga, un chef de milice de l’Ituri, connu sous le nom de Simba, ou lion en Swahili, qui avec un autre chef de milice Mathieu Ngudjolo, apparaîtra devant les juges lors d’une audience de confirmation des charges à La Haye, prévue pour la fin de la semaine.
Katanga et Ngudjolo sont accusés de nombreux chefs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, comprenant l’utilisation d’enfants soldats, la réduction en esclavage sexuel, le pillage et le traitement inhumain.
L’affaire contre Katanga et Ngudjolo concerne une attaque que la Cour prétend qu’il aurait ordonnée contre le village le 24 février 2003. Katanga aurait dit à ses combattants principalement de l’ethnie lendu d’ “effacer Bogoro”, qui était tenu par le chef de milice hema Thomas Lubanga. Lubanga fait l’objet d’autres chefs d’inculpation à la CPI.
Bien que le massacre présumé de Bogoro ait eu lieu il y a cinq ans, les souvenirs sont encore frais.
“Ils sont venus pendant la journée,” a déclaré Samuel Bahemuka Mugeni, le chef de village de Bogoro. “Ils ne voulaient pas piller, seulement tuer. Ceux qui ont eu de la chance se sont échappés et sont allés à Kisenyi (un village sur le lac Edward à près de 20 Km).”
L’attaque alléguée est intervenue malgré la présence de l’armée ougandaise non loin de là, a déclaré Mugeni, qui avait occupé la zone depuis 1998.
Mugeni a indiqué à l’IWPR que les meurtres allégués avaient été commis en représailles d’attaques antérieures sur des villages lendu dans la zone par des miliciens et villageois hema. “C’était une question de vengeance,” a-t-il indiqué. “Ils savaient que [Bogoro] était un village hema.”
Les villageois se seraient alors enfuis, paniqués, certains prenant le chemin de la brousse alors que d’autres s’étaient réfugiés dans l’école de briques de Bogoro. Bien que l’armée ougandaise ait riposté par des tirs, certains villageois auraient été pris au piège dans l’école et tués.
L’attaque présumée était intervenue alors que l’armée ougandaise s’apprêtait à se retirer de la région et que la milice hema de Thomas Lubanga s’était retirée de Bunia, laissant la région à la merci des milices lendu comme celle de Katanga.
Un nombre estimé à 275 personnes auraient été tuées à Bogoro ce jour-là, et 98 personnes avaient été enterrés dans une fosse commune, a déclaré Mugeni.
La force de Katanga avait occupé le village jusqu’à en être chassée par les forces des Nations Unies en décembre 2004 - et, selon Mugeni, au cours de cette occupation, les villageois avaient perdu leurs animaux et la plupart de leurs maisons avaient été rasées.
“Ils ont détruit notre village,” a déclaré Mugeni. “Ils ont tué les gens. Nous demandons que la justice fasse son travail.”
Les villageois se sont réinstallés à Bogoro en août 2005, mais, ils luttent avec les conséquences du massacre allégué. “Nous attendons des réparations pour ce qu’ils ont fait ici,” a déclaré Mugeni. “Nous n’avons jamais compris pourquoi ils se battaient.”
Nestor Kabagambe, un résident de Bogoro, a indiqué que neuf membres de sa famille avaient été brûlés vifs dans leur hutte au sein d’un village voisin qui avait aussi été attaqué. Il avait aussi perdu près de 50 vaches et deux maisons lors de l’attaque.
“Je suis très en colère. J’ai perdu mes maisons, mon bétail et mes proches. Je n’ai jamais compris sur quoi portait le conflit,” a-t-il dit.
Bezaler Nzwenge a expliqué qu’il s’était enfui quand l’attaque avait commencé, et, dans la panique, il avait perdu de nombreux membres de sa famille. Il explique que ce n’est que plus tard qu’il pu retrouver les restes de son père, qu’il reconnu à la chemise qu’il portait ce jour là, aux côtés de quelques os.
“Il est difficile d’oublier,” a déclaré Nzwenge. “C’est vrai que nous étions riches et que nous avions de belles maisons. Ce qui s’est passé ici nous a plongé dans la pauvreté.”
David Binyomwa, un Lendu, a indiqué qu’il était un exemple de la nature discriminatoire des meurtres allégués. Il a déclaré avoir perdu 11 personnes de sa famille au cours du combat, “Je suis triste. Je souffre. Même ma femme a été tuée.”
Onisumu Anyaga, originaire du village de Nombe, à 11 Km au sud de Bogoro, a indiqué que cinq de ses enfants avaient été tués par des soldats alors qu’ils s’enfuyaient, “Ils ont vu des gens courir et ils se sont levé pour nous tirer dessus.“
“Cette guerre a été très dure. Les gens ont du quitter le village, mais peu importe où vous alliez, ils vous poursuivaient. Personne ici ne sait exactement pourquoi ils se battaient.”
Malgré tout, a-t-il dit, “toutes les parties ont été victimes” au cours de la guerre dans la région.
Kezia Bonebana, une femme de Bogoro qui a déclaré qu’elle avait perdu six filles au côté de ses nièces et de ses neveux, se rappelle le jour de l’attaque présumé avec difficulté. “C’était très triste,” a-t-elle dit. “Nous avions des enfants avec nous. Nous ne pouvons penser à rien aujourd’hui. Nous avons tout perdu.
“Nous souhaitons que la justice soit rendue, pour que la paix puisse être rétablie. C’est ce qui est important pour moi.”
Alors que les villageois de Bogoro regardent avec méfiance vers l’avenir et attendent que la CPI poursuive Katanga et Ngudjolo, ils sont hantés par le passé.
Dans les champs qui entourent le village, les os des villageois qui auraient été tués lors de leur fuite émergent occasionnellement lors de la saison de plantation, a expliqué Simon Kabbale, un habitant.
“Nous voyons les os des gens et nous réalisons qu’ils ont été tués,” a-t-il dit. “Nous avons peur de toucher les os. Si vous touchez les os, il peut y avoir des esprits dedans.”
Peter Eichstaedt est le rédacteur Afrique à l’IWPR et Jacques Kahorha est un journaliste formé par l’IWPR.