Un enfant soldat parle de massacres
Un témoin a décrit une attaque contre une mission catholique, indiquant qu'au cours de celle-ci, les visages des victimes avaient été mutilés.
Un enfant soldat parle de massacres
Un témoin a décrit une attaque contre une mission catholique, indiquant qu'au cours de celle-ci, les visages des victimes avaient été mutilés.
“Nous sautions au dessus des corps,” a-t-il raconté à propose d’une bataille. “Nous devions tuer beaucoup de gens.”
Le témoin a indiqué qu’il était en cinquième année à l’époque et qu’il avait environ 11 ans.
Le juge président Adrian Fulford lui a permis de raconter son histoire sans être interrompu par l’Accusation ou la Défense. Les auxilaires de justice non nécessaires ont été priés de quitter la salle et le témoin a été protégé du regard direct de Lubanga.
Ce dernier a cependant regardé le jeune garçon sur son écran d’ordinateur et est resté de marbre tout au long de son témoignage.
Lubanga est l’ancien président du parti politique Union des patriotes congolais (UPC) et de son aile militaire, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FLPC).
Lubanga est accusé du recrutement, de la conscription et de l’utilisation d’enfants soldats de moins de quinze ans pour les faire combattre dans les conflits ethniques qui ont fait rage dans la région de l’Ituri en République démocratique du Congo, en 2002 et 2003.
L’ancien enfant soldat est resté anonyme jusqu’à mardi et a ensuite été désigné par le pseudonyme de “Dieumerci”. Alors qu’il délivrait son témoignage en swahili, son visage et sa voix étaient numériquement déformés pour les spectateurs assis dans la galerie du public.
Dieumerci a décrit une journée de la fin de l’année 2002, au cours de laquelle il avait été kidnappé avec cinq amis sur le chemin du retour de l’école par des soldats de l’UPC.
“[Les soldats] ont dit, ‘Les enfants, nous allons vous emmener,’” a-t-il indiqué. “Si quelqu’un essayait de parler, il était tabassé.”
Les coups empiraient lorsque les enfants arrivaient dans les camps, a-t-il expliqué. Les recrues étaient flagellées avec des morceaux de bois même pour les faits les plus anodins, notamment en cas de maladie ou d’épuisement, a-t-il ajouté. Ce châtiment leur était également réservé si elles étaient incapables de faire un exercice, si elles portaient mal leur arme ou tentaient de s’enfuir.
“Les [recrues] étaient parfois frappées par trois personnes en même temps,”a-t-il indiqué. “Si [on] criait, on était battu encore plus fort.”
Les coups étaient tels qu’ils ont laissé des cicatrices sur les jambes et les pieds du témoin, a-t-il expliqué, et des photos des cicatrices ont été présentées comme éléments de preuves.
Dieumerci a décrit les conditions de vie précaires dans le camp, notamment des dortoirs exigus qui ne les protégeaient pas de la pluie.
“Ils ne se souciaient pas de savoir si nous avions assez à manger ou pas,” a-t-il ajouté.
Dieumerci a expliqué que toutes les recrues dans le camp, y compris les jeunes enfants, étaient entraînées à l’usage d’armes lourdes et qu’elles recevaient ensuite des uniformes militaires.
Il a décrit des combats, notamment une embuscade dans une mission catholique.
“Nous sommes allés à la mission et nous avons tué tous ceux qui s’y trouvaient, même les prêtres,” a-t-il dit. “Nous leur avons entaillé la bouche et détruit le visage.”
Le témoin a indiqué qu’il était resté au sein de la milice jusqu’à ce que son père réussisse à le retrouver dans un marché d’une ville voisine. Le père et son fils étaient alors rentrés à Bunia pour s’y installer, mais Dieumerci avait été capturé un peu plus tard par des soldats de la milice de Lubanga alors qu’il rendait visite à des proches.
Les soldats l’ont considéré comme un déserteur et l’ont frappé. “C’est leur travail de frapper les gens,” a dit Dieumerci.
Il a été retenu prisonnier dans un autre camp d’entraînement jusqu’à ce que son père puisse racheter sa liberté. Après cela, il est passé par un programme de démobilisation organisé par un groupe d’aide humanitaire.
A la fin de cette déposition de près d’une heure, le Procureur adjoint Fatou Bensouda lui a demandé comment il se sentait le jour où il s’était rétracté devant la Cour.
“Beaucoup de choses me sont passées par la tête,” a-t-il répondu. “Je me suis énervé et je n’étais pas capable [de témoigner].”
Luc Walleyn, un représentant des victimes dans l’affaire, a interrogé le témoin sur les conséquences mentales et physiques de son expérience.
“L’arme que j’utilisais m’a abîmé la vue…et j’ai une douleur dans les oreilles,” a indiqué le témoin. “En plus, je suis encore illettré ”
Au cours du contre-interrogatoire, Marc De Salliers, avocat de la défense a interrogé le témoin sur des détails de son témoignage.
De Salliers a demandé quel était “l’endroit exact” où le témoin avait retrouvé son père.
“C’est difficile de vous donner l’adresse exacte,” a indiqué le jeune homme, ajoutant que les évènements avaient eu il y a plusieurs années.
De Salliers a alors demandé pourquoi à l’époque, les autres recrues de l’UPC l’avaient laissé partir avec son père sans le dire aux commandants.
“La même chose aurait pu leur arriver,” a répondu Dieumerci. “Ils auraient pu retrouver leur famille et je ne serai pas intervenu.”
La déposition du témoin a fait suite à celle de son père qui avait parlé lundi à la Cour de l’enlèvement de son fils et de sa conscription.
Dieumerci a été suivi à la barre des témoins par un ancien homme politique de haut rang au sein de l’UPC.
La comparution de ce responsable a provoqué une vive réaction de la part de Lubanga, qui a été visiblement remué et est brusquement sorti de la salle d’audience.
Le témoin non identifié a indiqué à la Cour que Lubanga avait personnellement utilisé des enfants soldats comme gardes du corps.
“En tant que président, il avait des gardes du corps. Il y avait des adultes, mais aussi des jeunes utilisés comme gardes du corps,” a indiqué l’homme. Son rôle exact au sein de l’UPC n’a pas été révélé.
“Quand vous avez quelqu’un de très jeune comme garde du corps, il n’a personne (d’autre) de qui s’occuper. C’est pour ça que nous préférons les [enfants].”
Rachel Irwin est reporter de l’IWPR à La Haye.