Chaos dans les Tribunaux
L’acquittement d’un seigneur de guerre et la grève des juges révèlent un système judiciaire perturbé.
Chaos dans les Tribunaux
L’acquittement d’un seigneur de guerre et la grève des juges révèlent un système judiciaire perturbé.
Bien qu’il ait d’abord été reconnu coupable et condamné pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en février 2005, la Cour d’appel de la ville nord-est de Kisangani avait renversé ce verdict, déclarant que le Chef Kahwa bénéficiait de la loi nationale d’amnistie.
Joel Bisubu, un activiste des droits de l’homme travaillant pour Justice Plus dans la ville de Bunia, en Ituri, a parlé d’un verdict inquiétant, affirmant qu’il établissait un dangereux précédent.
Bisubu craint que l’acquittement “permette à la plupart des présumés criminels d’échapper à la justice, alors que les victimes resteraient abandonnées sans aucune réparation ou indemnisation”.
Le Chef Kahwa dirigeait le Parti pour l’unité et la sauvegarde de l’intégrité du Congo, PUSIC, et il fut condamné pour l’assassinat de dix personnes en octobre 2002, un incident ayant eu lieu suite à l’incendie volontaire d’un centre de soin, et de plusieurs écoles et églises au sud-est de Bunia.
En août 2006, Kahwa fut condamné à 20 ans de prison et à payer à 14 victimes de ses crimes de 2 500 à 75 000 US dollars d’indemnisation.
En 2005, la RDC adopta une loi d’amnistie couvrant les faits de guerre et les infractions politiques commis entre 1996 - époque à laquelle la révolte contre l’ancien dirigeant Mobutu Sese Seko avait commencé - et juin 2003, lorsque le gouvernent de transition du pays avait été mis en place. Elle ne couvre cependant pas les crimes de guerre.
L’utilisation par la Cour de la loi d’amnistie relativement au massacre de civils est, pour le porte-parole de l’ONU au Congo, Kemal Saiki, un “développement [inquiétant] dans la lutte contre l’impunité en RDC ”.
Le Procureur général de Kisangani, Chris Aberi, a indiqué qu’il a l’intention de faire appel de la décision devant la Cour de Cassation. “Ces faits équivalent à des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, même s’ils ne sont pas catégorisés comme tel dans le code pénal congolais pour le moment,” a indiqué Aberi.
Nestor Botela, un autre procureur local, a expliqué la décision, “Les magistrats de la Cour d’appel de Kisangani, qui ont rendu le verdict, sont partis du principe que tous les crimes dont Kahwa est accusé sont couverts comme actes de guerre et infractions politiques par la loi d’amnistie.”
Mais Botela doute de la validité de l’interprétation faite par la Cour de la loi d’amnistie.
La décision de la Cour a été très critiquée et pourrait être liée à la récente grève des juges congolais qui ont protesté contre une multitude de dénis de justice et de nominations faites par le président Joseph Kabila.
Les magistrats qui ont rendu le verdict du 15 février, comptent parmi ceux qui ont été mis à la retraite de force par Kabila. Cette mesure faisait partie du plan du président visant à restructurer un système judiciaire largement considéré comme corrompu et inefficace.
Plus tôt ce mois-ci, Kabila avait forcé 92 juges et procureurs à partir en retraite, y compris le président de la Cour de Cassation et l’avocat général, les remplaçant par 26 candidats.
Outrés, les juges avaient alors fermé les tribunaux pour sept jours, affirmant que le geste de Kabila était une atteinte à la constitution et à un système judiciaire indépendant.
Les juges ont protesté, déclarant que le principal organe de direction du système judicaire, le Conseil supérieur de la magistrature, était la seule autorité légitime pour les mettre à la retraite.
Mais, selon certains critiques, le Conseil n’a jamais vraiment fonctionné, malgré le fait qu’il ait été crée en 2006.
La grève a provoqué la fermeture de la plupart des tribunaux à Kinshasa et dans de nombreuses autres provinces, mais deux autres syndicats de juges congolais n’avaient pas rejoint la grève et certaines affaires furent traitées, dont celle du chef Chef Kahwa.
Après une semaine, les juges avaient mis fin à la grève, après être tombés d’accord sur un compromis avec Kabila.
"Nous avons eu des contacts avec les autorités qui nous ont donné des garanties que la décision allait être retravaillée," a déclaré Sambayi Mutenda, chef du syndicat de juges SYNAMAC, à l’agence de presse Reuters.
"Ils vont traiter les affaires de [licenciement] au cas par cas et non pas mettre tout le monde dans le même panier."
Jean-Marie Eley Lofele, un avocat et activiste des droits de l’homme, a déclaré que la corruption prévaut dans les Tribunaux, mais que Kabila n’était d’aucune aide dans la résolution des problèmes, en touchant à la constitution.
"Le président a violé la constitution de part sa décision nommant des hauts magistrats sans prendre en considération le [Conseil supérieur de la magistrature], mais il a raison de montrer du doigt le dysfonctionnement du système judiciaire,” a-t-il dit.
La corruption, a-t-il ajouté, est un vrai problème au sein des Tribunaux congolais, “Tout le système [est] corrompu. Là où ils y trouvent un intérêt, les magistrats rendent rapidement le jugement. Pour les pauvres, il est difficile d’obtenir un jugement équitable et rapide."
C’est une telle confusion au sein des Tribunaux qui a ouvert les portes à la Cour pénale internationale, CPI, basée à La Haye, pour enquêter et juger divers chefs de milice dans l’est du Congo.
Ces chefs comprennent Thomas Lubanga, qui devrait être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité un peu plus tard au cours de l’année à venir. La CPI détient également Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo, tous deux chefs de milice accusés de crimes de guerre.
Celui à avoir été arrêté le plus récemment, Mathieu Ngudjolo, un ressortissant Congolais et ancien chef présumé du Front national intégrationniste, FNI, était colonel dans l’armée congolaise.
Eddy Isango est journaliste de l’ IWPR à Kinshasa.