Le retour des réfugiés intensifie les tensions au Nord Kivu

Certains soupçonnent un risque de cas d’incorporation aux milices parmi les milliers de Tutsis qui rentrent chez eux depuis le Rwanda.

Le retour des réfugiés intensifie les tensions au Nord Kivu

Certains soupçonnent un risque de cas d’incorporation aux milices parmi les milliers de Tutsis qui rentrent chez eux depuis le Rwanda.

Tuesday, 5 January, 2010
Les craintes s’intensifient quant au fait que des milliers de réfugiés, vivant actuellement au Rwanda, soient encouragés à retourner dans leurs anciennes maisons dans l’est de la République démocratique du Congo, RDC, afin de soutenir les rangs des groupes de milice de la région.



Les villageois du district de Masisi au Nord Kivu, d’où les réfugiés sont originaires et où ils rentrent aujourd’hui, craignent un regain de violence si de tels retours ne sont pas prudemment contrôlés.



Ils disent qu’il est devenu impossible de dire qui est un véritable réfugié sur le retour et, se méfiant de l’ingérence du Rwanda, veulent qu’un véritable processus d’identification soit mis sur pied.



Mais étant donné qu’un grand nombre de ces réfugiés se sont installés illégalement au Rwanda et ne se sont pas formellement enregistrés auprès du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, HCR, peu d’efforts sont faits pour s’attaquer au problème.



On pense qu’un grand nombre de ceux qui reviennent seraient d’origine tutsie - les personnes ayant fui la zone en 1994, lorsque les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR, un groupe de milice à dominance hutue, avait poursuivi ses attaques génocidaires en RDC.



Dans un rapport publié en décembre dernier, Human Rights Watch, HRW, soutenait que d’anciens commandants rebelles du Congrès national pour la défense du peuple congolais dominé par les Tutsi, CNDP, qui ont désormais été intégrés aux forces armées congolaises, avaient orchestré ces retours.



Le CNDP avait été créé en 2003 par le Général Laurent Nkunda, un Tutsi, dans le but de lutter contre les soldats congolais de la région. Mais ce dernier avait ensuite été évincé après s’être querellé avec plusieurs commandants principaux du CNDP.



Au début de l’année 2009, Nkunda avait été arrêté lors d’une opération conjointe entre les soldats congolais et rwandais, ce qui avait permis d’ouvrir la voie à la signature d’un accord de paix entre le CNDP et Kinshasa.



Cet accord donna lieu, entre autres, à l’intégration d’anciens commandants du CNDP à l’armée nationale. Mais HRW soutient que les ex-rebelles orchestrent aujourd’hui le retour des réfugiés tutsis – et soupçonne que certains soient incorporés aux rangs du CNDP.



Anneke van Woudenberg, chercheuse auprès de HRW, a indiqué, “Ce qui nous inquiète est qu’un grand nombre de ceux qui traversent les frontières le font très tôt le matin, avant que les frontières ne soient officiellement ouvertes. Cela semble donc se passer hors de toute transparence ou passer sous le radar.”



De nombreux réfugiés interrogés par HRW citent des raisons similaires à leur désir de revenir dans la zone – surtout pour échapper à la pauvreté et à la faim, ou avoir accès à de meilleures opportunités d’éducation.



“Le fait qu’ils donnent pratiquement la même réponse nous donne à penser qu’ils reçoivent des instructions sur ce qu’ils doivent dire, ou qu’il existe une réplique convenue sur ce qu’ils devraient dire,” a déclaré Van Woudenberg.



Elle a ajouté qu’il est donc suspect qu’un grand nombre des personnes sur le retour aient choisi de s’installer dans des camps au sein des zones contrôlées par le CNDP, plutôt que de rentrer directement dans leurs villages.



Le rapatriement intervient alors que Bosco Ntaganda, un ancien commandant du CNDP qui est recherché par la Cour pénale internationale, CPI, serait à la tête des opérations de l’armée congolaise contre les FDLR au Nord Kivu. Il avait eu un rôle déterminant dans l’expulsion de Nkunda du CNDP au début de l’année 2009.



L’ONU indique que les commandants comme Ntaganda disposent toujours des armes qu’ils ont amassées pendant la guerre civile, et que le CNDP reste actif malgré l’intégration de ses principaux officiers dans l’armée congolaise.



Safari Nganizi, un porte-parole du groupe ethnique hutu à Masisi, indique que la nouvelle du retour des réfugiés Tutsi a plongé toute la région dans un état d’anxiété.



“Nous avons demandé au gouvernement du Congo de prendre sa responsabilité pour cela,” a indiqué Nganizi. “Nous ne comprenons pas comment les gens peuvent quitter un pays étranger et traverser les frontières sans que les services de renseignement, la police et les autorités d’immigration n’en soient informés.”



Nganizi a déclaré que la sécurité dans la région reste tendue, étant donné que les FDLR et d’autres groupes de milices sont toujours très actifs dans les montagnes.



Mais tout le monde ne pense pas que les réfugiés retournent dans la région pour créer des problèmes.



Alexandre Gatemba, un chef tutsi vivant à Masisi, a indiqué, “Les rumeurs sont au coeur de cette crainte, mais elles ne sont pas vraies.”



Il a ajouté que nombre de ces réfugiés, qui s’étaient illégalement installés dans la forêt de Gishwati, juste de l’autre côté de la frontière rwandaise, ont été forcés à rentrer chez eux en raison de projets du gouvernement rwandais portant sur la sauvegarde de la forêt.



Selon le HCR, près de 90 000 réfugiés congolais vivent actuellement dans des camps dans les pays voisins – surtout au Rwanda, en Ouganda et au Burundi.



Mais, près d’un an après la signature d’un accord de paix entre les autorités congolaises et le CNDP, peu d’efforts ont été entrepris pour les rapatrier.



Il y a quelques mois, les chefs coutumiers de Masisi et Rutshuru ont rencontré le HCR et la MONUC, la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, pour discuter du rapatriement, mais les pourparlers se sont interrompus suite à des craintes que les ressortissants rwandais puissent aussi entrer dans le pays.



“Nous avons demandé au HCR de nous aider avec le processus d’enregistrement de ces réfugiés afin de pouvoir évaluer avec certitude qui est un réfugié congolais et qui ne l’est pas,” a déclaré Pierre Claver Sebisusa, un chef coutumier de Busanza.



Azarias Ruberwa, un avocat du groupe ethnique banyamulenge et président du Rassemblement pour la démocratie congolaise, RDC, a indiqué qu’il soutiendrait le processus d’identification s’il permettait de faciliter le rapatriement des ressortissants congolais.



“Aucun congolais n’a le droit de bloquer l’accès de tout autre Congolais à son pays,” a-t-il dit.



Jacques Kahorha est un reporter formé par l’IWPR au Congo. Blake Evans-Pritchard, le Rédacteur Afrique de l’IWPR a contribué à ce rapport.
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