Les victimes veulent une justice assortie de réparations
Sept ans après avoir vu leurs moyens d’existence détruits, les victimes s’impatientent de plus en plus en raison du manque de justice économique.
Les victimes veulent une justice assortie de réparations
Sept ans après avoir vu leurs moyens d’existence détruits, les victimes s’impatientent de plus en plus en raison du manque de justice économique.
“Maintenant que vous avez enregistré nos récits, comment cela va-t-il nous aider?” interroge Clémentine, scrutant nos visages dans l’attente d’une réponse.
Clémentine est l’une des nombreuses personnes civiles à avoir été aspirée dans les mois de violence qui ont suivi la lutte pour la présidence de la République centrafricaine, RCA, en 2002 et 2003.
Elle était marchande dans la banlieue de Bangui, la capitale, et achetait du manioc à Boali, à quelques 88 kilomètres, qu’elle rapportait pour le revendre, jusqu’à ce que le camion qu’elle utilisait se fasse attaquer par des hommes armés.
Une tempête de pluie précoce se prépare alors que Clémentine raconte son histoire. Des hordes d’enfants accourent dans sa hutte en terre pour écouter à la porte et se disputent une place sur un banc rudimentaire dans le coin de la pièce, les corps plein de boue séchée après une matinée de jeux.
“Lorsque que nous avons rencontré les hommes de Bemba [dans la banlieue de Bangui à] PK 12 ils ont stoppé le camion et tué le conducteur et deux garçons dans le camion,” raconte Clémentine. “J’étais avec cinq femmes. Nous avions 200 000 francs (425 dollars US) avec nous. J’avais 100 000 francs avec moi. J’ai couru dans la brousse et j’ai tout perdu.”
Le Mouvement de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba, MLC, une milice active en République démocratique du Congo, RDC, aurait été attirée en RCA par le président Ange-Félix Patassé pour l’aider à lutter contre un mouvement de révolte conduit par l’ancien chef d’armée François Bozizé.
Les gens ordinaires auraient été tués, violés, pillés et déplacés en représailles de leur soutien présumé aux rebelles. En mai 2007, la Cour pénale internationale, CPI, a ouvert une enquête au sujet des atrocités suspectées commises lors de la tentative de coup d’État.
A ce jour, seul Bemba a été arrêté. Ses avocats disent que Bemba avait répondu à un appel à l’aide de Patassé pour réprimer une tentative de coup d’état, et qu’après avoir envoyé les combattants du MLC en RCA depuis le Congo, ces derniers n’étaient plus sous son contrôle, mais subordonnées à Patassé.
Dans un entretien accordé récemment à l’IWPR, Patassé avait répété qu’il n’était “au courant de rien” répondant à une question concernant le fait que les citoyens de la RCA l’accusaient d’avoir invité les hommes de Bemba dans le pays, et d’avoir manqué de mettre un terme aux atrocités qu’ils auraient commises.
Les Procureurs indiquent que les enquêtes continuent au sujet des crimes commis en RCA.
Clémentine et une série d’autres personnes qui ont parlé à l’IWPR veulent que la justice pour les crimes dont elles ont souffert inclue le fait de recevoir des réparations pour l’argent, les biens, le bétail et les moyens d’existence qui ont été pillés et détruits.
Les victimes comme Clémentine vont cependant devoir attendre encore un certain temps pour obtenir réparation. Les paiements ordonnés par le tribunal dans le cadre de la sentence peuvent uniquement avoir lieu une fois qu’un procès est clos et qu’un jugement a été rendu.
La RCA est dixième sur l’index des États faillis élaboré par le groupe de réflexion Foreign Policy basé à Washington. L’instabilité continue à créer un climat qui rend presque impossible pour les gens de se sortir de la pauvreté.
Les Centrafricains veulent que Bemba les rembourse avec ses propres richesses. L’ancien vice-président de la RDC a de nombreux intérêts économiques et est considéré comme l’un des hommes les plus riches du pays.
Au moment de son arrestation en mai 2008, la CPI avait gelé ses avoirs et ordonné à Bemba de payer ses propres frais de justice estimés à 50 000 dollars par mois.
Laetitia Bonnet de la Section de la participation des victimes et des réparations, SPVR, a expliqué que les réparations pouvaient jouer un rôle dans la guérison des blessures d’une société affectée par un conflit, “Il ne s’agit pas seulement d’aller en prison pour quelque chose de mal que vous avez fait, mais aussi de comprendre qu’il y a des gens qui ont été affectés par vos actes et que vous allez faire partie du processus de réparation.”
Les victimes peuvent recevoir une aide de la CPI de deux manières – soit au moyen de procédures devant la Cour, ou en bénéficiant de programmes de réhabilitation mis en place par le Fonds au profit des victimes, FPV, une branche autonome de la CPI.
Bien qu’il n’ait pas à attendre un verdict de la Cour, le FPV n’a pas encore mis en œuvre le moindre programme en RCA. Le Fonds conduit cependant actuellement un projet au nord de l’Ouganda, consistant en une équipe de chirurgiens plastiques opérant des victimes civiles du mouvement rebelle de l’Armée de résistance du Seigneur ayant été intentionnellement défigurées, ce qui a provoqué un rejet de la part de leurs familles.
Le FPV est opérationnel depuis seulement un an, et a eu à échelonner la mise en œuvre des programmes de réhabilitation dans les différents pays cibles en raison de contraintes logistiques et financières. On s’attend à ce que le premier projet destiné à la RCA, qui inclura un soutien physique, psychologique et matériel, soit initié d’ici le mois de janvier de l’année prochaine.
Si les juges de la CPI condamnent un suspect, ses avoirs peuvent être confisqués, vendus et transférés dans des fonds destinés aux réparations. Les juges peuvent aussi ordonner à un accusé de payer personnellement les réparations, ou de financer des projets d’indemnisation via le FPV.
Mais sept ans après avoir vu leurs moyens d’existence détruits, les victimes s’impatientent.
Nous rencontrons une autre victime chassée de sa maison par les combattants: Augustine, de PK12, un endroit particulièrement affecté par la violence.
“Ils ont arraché les fenêtres et les lits pour en faire du bois à brûler. Les hommes de Bemba ont tué nos chèvres, tiré sur nos poules. Nous ne pouvions pas cultiver nos champs. Notre puits d’eau est devenu leurs [toilettes]. Je vendais [des produits] pour me faire de l’argent mais maintenant je ne peux plus. Je dois cultiver et c’est une vie vraiment misérable,” explique-t-elle.
André Laperrière, directeur exécutif du FPV, souhaite que les projets de réparations ne soient pas confondus avec de l’assistanat, “L’idée est d’aider les victimes à retourner à la vie qu’elles auraient eue si l’agression n’avait pas eu lieu. Nous ne réhabilitons pas les communautés, nous les aidons à se réhabiliter elles-mêmes. Nous apportons les graines, mais nous ne les plantons pas.”
Il a également souligné que les projets ne remplaçaient pas le travail du gouvernement national. Son équipe discute avec les autorités pour s’assurer que leurs efforts soient alignés sur le plan à long terme de l’État.
Alors que la compréhension du travail de la CPI est inégale chez les Centrafricains, nombreux sont ceux qui ont tellement perdu espoir par rapport à leur propre système juridique en faillite et au manque de réparations accordées par le gouvernement qu’ils ont reporté leurs espoirs sur la Cour à La Haye.
Augustine a entendu parler de la Cour un jour en écoutant la radio, “Nous voulons un jugement équitable mais nous sommes plus préoccupés par nos biens détruits. Bemba devrait payer les réparations.”
Clémentine explique qu’elle a tout perdu dans l’attaque, et pense que la CPI devrait forcer Bemba à dédommager ses victimes présumées.
“Les réparations sont une bonne chose. S’ils prennent ses biens [pour nous payer] c’est bien aussi. Ils devraient donner de l’argent aux gens personnellement. Je veux de l’argent, et multiplier les gains perdus jusqu'à présent. Sans réparation, ce ne sera pas une bonne justice. Ma colère va décroître si nous recevons quelque chose,” dit-elle.
Outre le fait de recevoir des réparations, les victimes peuvent aussi faire une demande pour participer aux enquêtes et aux procès. Jusqu’à présent, la Cour s’est concentrée sur la sensibilisation par rapport à cette question, mais les avocats centrafricains comme Marie-Edith Douzima, qui représente les victimes dans l’affaire Bemba, pensent que “La CPI n’a rien fait pour parler aux gens des réparations“.
“Informer la population est la tâche de la CPI, mais cela a pris trop longtemps. Comment pouvons nous faire que les gens se présentent comme victimes s’ils ne sont pas au courant?”
La communication est un défi dans des environnements post-conflictuels où les communautés sont déplacées ou dans des endroits éloignés.
“En termes de sécurité nous devons être très prudents ; pas pour la sécurité du personnel de la CPI, mais plutôt pour la sécurité des gens avec qui nous travaillons. C’est un facteur qui limite la capacité de la Cour à atteindre les victimes potentielles hors de Bangui,” a déclaré Bonnet.
A la question de Clémentine “Maintenant que vous avez enregistré nos récits, comment cela va-t-il nous aider?” il était nécessaire de répondre que la couverture par les médias de cette question peut atteindre ceux qui ont le pouvoir d’influencer ces questions ou de faire changer les choses.
En attendant, il est clair que le fait d’élaborer des projets de justice, réparations et réhabilitation, et en même temps de répondre aux fortes attentes, reste un formidable défi pour la CPI.
Katy Glassborow est reporter de l’IWPR à La Haye. Le Dr Jan Coebergh, un médecin basé à La Haye et spécialisé dans l’étude des taux de mortalité en situation de conflit a contribué à cet article depuis Bangui.